Des forêts mieux gérées en Amazonie
La déforestation fait toujours des ravages au Brésil. Mais plusieurs entreprises se mettent à exploiter les ressources de manière à réduire les impacts sur l’écosystème. Avec des bénéfices à la clé. Reportage dans la jungle
L’arbre, un angelim amargoso (Faveira amargosa) de 25 mètres de haut, tombe dans un bruit sec. D’une précision millimétrique, la coupe a duré moins de cinq minutes et les arbres voisins ont été soigneusement épargnés.
Nous sommes à Paragominas, dans l’Etat amazonien du Pará, sur les terres de Cikel, un producteur de bois d’origine certifiée. Cette forêt est exploitée selon des méthodes de gestion forestière visant à réduire l’impact sur les écosystèmes. Chaque étape est étudiée: depuis la sélection des arbres à abattre – les espèces protégées ou non commercialisables sont écartées – jusqu’au tracé de la route à percer pour les récupérer, et qui doit épargner autant que possible la végétation.
Non loin de là, un exemple d’exploitation sauvage: des troncs jonchent le sol. L’un d’eux est scindé en trois. «Les coupeurs veulent aller vite pour abattre un maximum d’arbres, car une partie de leur rémunération est proportionnelle au rendement, explique le technicien forestier César Pinheiro. Ce type d’exploitation est le plus courant en Amazonie», et c’est le point de départ du défrichement.
Dès qu’il n’y a plus de bois à en tirer, la parcelle est totalement défrichée puis transformée en pâturage. Quand le pâturage cesse d’être productif, il est abandonné par l’éleveur qui s’en va défricher ailleurs, laissant la place à l’agriculteur.
L’Amazonie brésilienne a déjà perdu ainsi 17% de sa couverture végétale. Ce défrichement essentiellement illégal fait du Brésil le quatrième pollueur mondial. Depuis la mise en place de la surveillance satellite en 1988, l’Amazonie brésilienne a perdu en moyenne 19 000 km2 de couverture végétale par an. Selon les estimations du gouvernement, le déboisement de la plus grande forêt tropicale du monde n’aurait cependant reculé que de quelque 9000 km2 entre août 2008 et juillet 2009, son plus bas niveau en vingt ans. Si les chiffres définitifs qui seront connus en fin d’année le confirment, ce résultat représenterait une baisse de 30% par rapport à la période précédente. Ce que le ministre de l’Environnement, Carlos Minc, attribue au resserrement des contrôles.
Pour ralentir la destruction des forêts, le gouvernement mise aussi sur des mesures «structurelles» comme l’expansion de la gestion forestière. L’idée est de concilier préservation et développement économique pour les plus de 25 millions de Brésiliens qui vivent en Amazonie, explique Luiz Carlos Joels, directeur du Service forestier brésilien (SFB).
L’entreprise Cikel est l’une des premières à avoir abandonné l’exploitation «conventionnelle», comme on appelle ici la dévastation. Depuis 1999, le bois de Cikel est certifié par le label international FSC (Forest Stewardship Council) qui garantit que son extraction respecte la législation et les principes du développement durable, notamment le «bien-être social» des salariés et des communautés locales.
C’est la nécessité de se plier aux exigences du marché qui a forcé ce «changement culturel», selon l’avis du patron de l’entreprise, Damião Pereira Dias. «Notre principal marché, les Pays-Bas, ne voulait plus que du bois d’origine certifiée, dit son directeur, Josué Evandro Ferreira. Les Etats-Unis commencent aussi à en demander.» Cikel, qui exporte 75% de sa production, a gagné au change. Le bois d’origine certifiée se vend 30% plus cher. Et l’exploitation planifiée a permis de réduire les coûts, dit Ferreira: «On utilise moins les machines, il y a moins d’accidents aussi.»
Une étude de l’Institut Forêt tropicale (IFT) le confirme: outre ses avantages écologiques, la gestion forestière est «plus rentable» que la dévastation, «les gains de productivité et la réduction du gaspillage [excédant] les coûts supplémentaires dus à la planification de l’exploitation». Reste à convaincre les exploitants forestiers… Pour l’instant, moins de 5% du bois tiré d’Amazonie est issu de la gestion forestière (et moins de 2% est d’origine certifiée).
«Les entraves sont nombreuses, note Marco Lentini, directeur adjoint de l’IFT. Le marché brésilien, principal acheteur du bois d’Amazonie, ne cherche pas à savoir comment a été produit celui-ci. De plus, pour faire approuver un plan d’aménagement forestier, il faut avoir un titre de propriété.» Or, seuls 4% des terres d’Amazonie ont un titre valide. Les autres, quand ils existent, sont forgés par des gens qui ont tout bonnement usurpé des terres publiques… Une loi adoptée en juin doit permettre de régulariser les parcelles jusqu’à 1500 hectares mais «elle va mettre des décennies à être appliquée», estime Marco Lentini.
Autre facteur qui favorise l’exploitation prédatrice: la faiblesse des contrôles, malgré les récents progrès. Les inspecteurs chargés de s’assurer du respect du code forestier sont trop peu nombreux pour une région aussi grande.
Pour faire avancer la gestion forestière, le gouvernement entend octroyer des concessions sur des parties de la forêt, mécanisme qui doit permettre aussi de mieux en contrôler l’exploitation.
«Le concessionnaire va rester au même endroit pendant quarante ans, note Luiz Carlos Joels. On peut le surveiller plus facilement que les illégaux, qui se déplacent.» Luiz Carlos Joels reconnaît néanmoins que c’est une «lutte» d’introduire des mécanismes de développement durable au Brésil. «Il y en a qui préfèrent l’expansion de la frontière agricole.» Une référence au puissant lobby de l’agrobusiness, qui a l’oreille du président Lula grâce aux devises que font rentrer ses exportations.
Pour lui, «le défrichement zéro est possible, si les services environnementaux [rendus à la planète par ceux qui ne défrichent pas, ndlr] sont rémunérés». Un mécanisme qui sera à l’ordre du jour de la conférence sur le climat à Copenhague, en décembre prochain. «Mais il faut l’associer à d’autres solutions, comme la gestion forestière. Si on mise tout sur le défrichement évité, la forêt ne vaudra pas grand-chose», conclut Luiz Carlos Joels.
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