

Collection des coupures de presse Suisse Romandes depuis 2007 sur ces pays d'Amérique Latine
AMAZONIE - Que la gauche remporte ou non le scrutin bolivien de décembre, le rio Madeira n'échappera pas aux dommages écologiques et sociaux des deux futurs barrages brésiliens.
Que restera-t-il dans une décennie du «poumon de la terre» et des populations indigènes qui l'habitent? Que les gouvernements du Brésil ou de Bolivie soient «de gauche» ou «indigéniste» n'y change rien. Entre les mégaprojets énergétiques, les exploitations pétrolières ou minières et les monocultures d'agrocombustibles, l'Amazonie, et ses richesses naturelles stratégiques, est aujourd'hui plus que jamais l'ultime digue face au capitalisme. A la frontière bolivienne, le Brésil vient de lancer sa version amazonienne des travaux d'Hercule: la construction du plus grand projet hydroélectrique du continent sud-américain. Sur le rio Madeira, principal affluent du fleuve Amazone, le gouvernement du président Luiz Ignacio «Lula» da Silva va débourser d'ici 2013 plus de 10 milliards de dollars pour la construction de deux mégabarrages, à Jirau et San Antonio qui généreront au total près de 7000 MV. Les travaux, qui ont démarré cet été, sont dirigés par Odebrecht, la plus grande entreprise de construction d'Amérique latine, dont le chiffre d'affaires a atteint, en 2007, 17 milliards de dollars, un montant supérieur au PIB de la Bolivie et du Paraguay réunis.
Les promoteurs du projet espèrent que les deux ouvrages permettront le développement d'un gigantesque pôle agroindustriel au coeur de l'Amazonie, en plus d'alimenter, par une ligne à haute tension, les industries de Sao Paulo, à plusieurs milliers de kilomètres au sud-est.
Si ces ouvrages seront sensiblement moins grands que le fameux barrage des Trois Gorges en Chine, le plus puissant du monde (18 200 MV), ils auront par contre un impact écologique énorme au vu de la topographie extrêmement plate du bassin amazonien. De quoi inquiéter le voisin bolivien, dont la frontière se situe à moins de 90 kilomètres du premier des deux barrages, celui de Jirau.
Certes, les études menées par des scientifiques brésiliens ont conclu «à l'absence d'impact des barrages sur le territoire bolivien». Mais Jorge Molina, expert à l'Institut d'hydraulique et d'hydrologie de l'Université Mayor de San Andrés, à La Paz, n'en décolère toujours pas: «Les Brésiliens ont carrément manipulé les modèles mathématiques pour calculer par exemple la sédimentation au fond des lacs de retenue», accuse-t-il. «C'est absolument inacceptable pour le scientifique que je suis. Explicable toutefois: il ne s'agissait pas d'études, mais d'opinions émises par des chercheurs payés par... Odebrecht, le maître de l'ouvrage!»
La réalité risque donc bien de virer au cauchemar pour les habitants du bassin du rio Madeira. «Notre dernière étude démontre en effet que l'élévation du niveau du fleuve après la mise en service des deux barrages se situera entre 1 et 2,2 mètres», poursuit M. Molina.
Populations déplacées
«Nous n'avons pas les relevés topographiques exacts de toute la zone», regrette pour sa part Marc Pouilly chercheur à l'IRD, l'Institut de recherche pour le développement. Mais les premières études menées du côté bolivien arrivent à la conclusion qu'au minimum 500 km2 de terres riveraines seront définitivement inondées.
La communauté scientifique est dès lors montée aux barricades. «Le bassin du rio Madeira, c'est plus d'un million de km2 (25 fois la Suisse). C'est donc une folie de réaliser de tels barrages sans avoir au préalable effectué des études sérieuses», poursuit Marc Pouilly. Celles menées récemment par l'ONG Faunagua donnent le frisson. «Plus de 300 espèces de poissons migrateurs seront menacées d'extinction, mettant en péril, pour le seul territoire bolivien, la survie économique de 16 000 pêcheurs traditionnels, de leurs familles et de leurs communautés», explique Paul van Damme.
Manuel Antonio Valdès, chercheur à l'Université fédérale de Rondonia, au Brésil, estime pour sa part que du côté brésilien, la construction des barrages nécessitera le déplacement d'au moins 15 000 personnes: «Ce sera un drame social. Ces gens déracinés, coupés de leur culture, viendront gonfler les banlieues de Porto Velho... Et tomberont dans la misère et son cortège habituel: délinquance, prostitution, trafics en tous genres.» Un problème presque habituel au Brésil: «En trente ans, l'Etat a construit plus de 600 barrages, déplaçant plus d'un million de personnes, dont au moins 70% n'ont jamais reçu la moindre indemnisation.»
Face à la menace, la Bolivie a tardé à réagir. Depuis 2006, le ministre des Affaires étrangères David Choquehuanca a certes fait régulièrement part de la «préoccupation» de l'Etat bolivien face aux répercussions environnementales des deux barrages. Mais si certains ministères, comme celui de l'Environnement, ont combattu le projet brésilien, d'autres, comme celui de l'Energie, ou les cercles proches du président, à commencer par le vice-président Alvaro García Linera, y sont ouvertement favorables.
Pour l'électricité
Pour eux, il est en effet vital de répondre avant tout aux besoins de la population. Et Pablo leur fait volontiers écho. Ce paysan et pêcheur de la région de Cobija, dans le département de Pando, à la frontière avec le Brésil, est venu jusqu'à La Paz pour défendre la construction des barrages: «Ce que nous voulons, c'est vivre mieux, ne plus nous éclairer à la bougie. On accepte volontiers le désastre s'il vient avec le développement et l'électricité!»
Jean Rémy, professeur à l'Université fédérale de Rio de Janeiro, l'a toutefois prévenu: «Il ne faut pas se faire d'illusions. Tous les projets antérieurs ont montré que les populations locales n'en bénéficient pas. Elles restent dans l'obscurité!» Le Bloc des organisations paysannes et indigènes du Nord amazonien (BOCINAB) ne s'y est d'ailleurs pas trompé. Il a exigé l'arrêt immédiat de la construction des barrages et déposé dans la foulée une demande de mesures provisionnelles devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme. Pour l'heure sans succès: le rouleau compresseur brésilien semble impossible à arrêter. I
«Accélérer le développement économique: c'est une constante dans la politique brésilienne, depuis la seconde moitié du XXe siècle», explique Olivier Dabène, professeur à Sciences Po et président de l'Observatoire de l'Amérique latine et des Caraïbes. C'est d'ailleurs à ce prix que le géant sud-américain pourra assurer sa place de nouvelle puissance économique mondiale du XXIe siècle. «Lula a beau être de gauche, il est coulé dans le moule des intérêts prioritaires du pays», poursuit le chercheur.
Le Brésil s'est ainsi mué en véritable empire, constituant son propre «pré carré» sur le continent. Lorsque la BNDES (Banque nationale de développement économique et social) décide d'investir dans les pays voisins, c'est en effet à condition que les projets soient accordés ensuite à des entreprises... brésiliennes. La centrale hydroélectrique de San Francisco, en Amazonie équatorienne, a ainsi été construite grâce à un prêt de 243 millions de dollars accordé justement par la BNDES... sous condition d'adjudication du contrat à l'entreprise brésilienne Odebrecht!
«Mais le projet des barrages du rio Madeira ne peut toutefois se comprendre que si on le replace dans le cadre de l'IIRSA, l'Initiative pour l'intégration des infrastructures régionales sud-américaines», souligne Marco Octavio Ribera, chercheur à la Lidema, la Ligue bolivienne de défense de l'environnement. L'objectif de l'IIRSA, adoptée en 2000 par douze présidents sud-américains? «C'est le développement d'infrastructures et de centres de production d'énergies dans un corridor d'intégration qui remonte toute l'Amazonie. L'IIRSA prévoit notamment une voie navigable de 4200 kilomètres qui permettra le transport fluvial – puis terrestre via la construction de nouvelles routes – du soja et des agrocombustibles produits en Amazonie vers les ports de la côte pacifique, pour les exportations vers l'Asie», poursuit le chercheur. «Et ces voies de communication sont dessinées en fonction des échanges commerciaux et de la chaîne de production des transnationales nord-américaines et brésiliennes, commente Evelin Mamani, sous-directrice du Fobomade, le Forum bolivien sur l'environnement et le développement. Les entreprises qui financent l'IIRSA, ce sont notamment les grands producteurs de soja et les entreprises de la filière de l'agroalimentaire.» Dans le numéro d'avril de l'édition «cono sur» du Monde diplomatique, le journaliste français Christophe Ventura confirme que «Lula a passé des engagements avec les firmes de l'agrobusiness comme Monsanto, Syngenta, Cargill ou encore Nestlé pour réaliser son rêve de convertir le Brésil en premier producteur mondial de soja, de canne à sucre et d'éthanol».
«On peut donc aujourd'hui véritablement parler de transnationalisation de l'Amazonie, conclut Evelin Mamani. Au détriment de la santé humaine, de la conservation de la nature et du droit des peuples indigènes de vivre selon leurs modes de vie.» BPN
Manifestation des sans-terre. (Keystone)
Une action coup de poing du Mouvement des sans-terre, qui regroupe 370 000 familles, est vertement condamnée par le président Lula da Silva. «On cherche à nous criminaliser», dénonce de son côté le MST devant l’Organisation internationale du travail
Pour que l’ex-syndicaliste Lula dénonce le «vandalisme» de ceux qui ont le plus cru en lui, il fallait qu’un événement très médiatisé l’y force. Il s’est produit fin septembre quand les télévisions brésiliennes ont montré en boucle des bulldozers abattant 7000 orangers de Cutrale, géant agro-alimentaire dans l’Etat de São Paulo. Tracteurs détruits, maisons saccagées: l’action coup de poing du Mouvement des sans- terre (MST), intervenant dans un long procès sur la propriété de ces terrains, a provoqué plus de dégâts dans l’image du MST que les bulldozers dans les plantations.
L’incident, peut-être dû à des éléments incontrôlés, critiqués au sein du mouvement même, tombait très mal: le MST mène campagne, en particulier devant l’Organisation internationale du travail à Genève, pour dénoncer «la criminalisation du mouvement» par la justice et les médias brésiliens. Né il y a vingt-cinq ans, il regroupe 370 000 familles pauvres, dont 93 000 attendent un lopin de terre dans 600 campements etconstitue une des plus grandes, sinon la plus grande force de lutte organisée au Brésil.
A un an des élections qui désigneront son successeur, Luiz Inacio Lula da Silva donne à ses récentes décisions et à ses discours un tour plus nationaliste et interventionniste.
La mesure la plus importante, annoncée le 31 août, est débattue au Congrès. Elle donne à la compagnie Petrobras un rôle central dans la mise en valeur des énormes réserves sous-marines de pétrole découvertes depuis 2007 au large des côtes. Celles-ci pourraient propulser le Brésil parmi les cinq premiers producteurs mondiaux d’ici à quinze ans.
Crainte d’une bureaucratie
Situées sous 2000 mètres d’eau et 5000 mètres de roche, de sable et de sel, ces réserves estimées à 50 milliards de barils ne feront pas l’objet de concessions, comme les champs pétrolifères actuels, mais seront exploitées par Petrobras, qui prendra une participation d’au moins 30% dans les consortiums créés à cet effet. La moitié du pétrole pompé sera commercialisé par l’Etat. Le reste sera réparti entre Petrobras et ses partenaires. Une nouvelle compagnie publique, Petrosal, représentera les intérêts du gouvernement dans chaque bloc exploré. Enfin, un fonds public, sur le modèle de celui existant en Norvège, investira les milliards de dollars ainsi récoltés dans des projets d’intérêt général (éducation, infrastructures, innovation, etc.).
L’industrie fait la grimace. «Les opportunités se sont réduites au Brésil», a déclaré le patron de Chevron, George Kirkland. Certains craignent un monstre bureaucratique inefficace, comme Petrobras l’était avant que la majorité de son capital soit privatisée en 1997. Un autre souci est le gonflement du budget public, qui représente déjà 36% du PIB brésilien.
Ces reproches n’ébranlent pas Mauricio Tolmasquim, président de la Compagnie de recherche énergétique, dépendant du Ministère des mines et de l’énergie: «Nous avons vérifié que ce projet soit attractif, conforme aux intérêts internationaux, et avons décidé qu’il l’était.» Et de rappeler que si en 1970 1% des réserves mondiales de pétrole étaient en mains publiques, 77% le sont aujourd’hui.
Procédure d’urgence
Mais qui doit profiter de cette manne? Brasilia veut centraliser les recettes pour en faire bénéficier l’ensemble du pays, tandis que les trois Etats côtiers près desquels les réserves ont été découvertes désirent conserver la part du lion. Le parlement brésilien, qui en discute, n’est pas réputé pour ses décisions rapides, d’où la procédure d’urgence actionnée par le gouvernement. Celui-ci souhaite que les lois soient sous toit avant l’été 2010.
Une seconde mesure, plus conjoncturelle, a froissé les investisseurs étrangers: c’est la décision, annoncée la semaine dernière, d’imposer une taxe de 2% sur les entrées de capitaux. Il faut dire que la surchauffe guette le Brésil, plus prompt que d’autres à se relever de la crise. Le real s’est apprécié d’un tiers face au dollar en 2009 – la plus forte progression des 16 monnaies mondiales les plus traitées. Les réserves de change (233 milliards de dollars) dépassent le montant de la dette, et 35 milliards de dollars de capitaux étrangers se sont rués au Brésil en un an.
Ces «problèmes» sont de ceux que d’autres pays aimeraient bien avoir: une économie solide qui a créé 1,1 million d’emplois cette année, limite le taux de chômage officiel à 7,7%, où le niveau de confiance des consommateurs et entrepreneurs a dépassé en octobre celui d’avant la crise… Dans ces conditions, la taxe de 2% jouit du soutien populaire et dissuade peu les investisseurs.
Sûr de lui, Luiz Inacio Lula da Silva en fait-il trop? Récemment, il reprochait au géant minier Vale, privatisé en 1997, de ne pas créer assez de valeur ajoutée au Brésil. Roger Agnelli, directeur général de la société, s’est empressé de répondre que celle-ci dépensera deux tiers de son budget d’investissement 2010 dans le pays.
«Populisme de chéquier»
«Lula vire nettement à gauche», écrit Mac Margolis dans Newsweek, lui reprochant son «populisme de chéquier»: augmentation des salaires des fonctionnaires et des retraites. Par le passé, le président a montré qu’il savait naviguer au centre, en réaliste. Dans la campagne électorale qui commence, l’enjeu est différent: il doit pousser sa candidate Dilma Rousseff, moins charismatique que lui, face au maire de São Paulo José Serra (centre droit), favori.
Et dans l’hypothèse d’une victoire de José Serra, Lula veut cadrer l’usage de la future manne pé trolière avant le changement de pouvoir.
BRÉSIL - Frei Betto, ex-responsable du plan «Faim Zéro», prône une révolution éthique pour sauver l'humanité, et non pas le système actuel.
En pleine crise économique et financière généralisée, la planète doit chercher de nouveaux paradigmes de civilisation. Ces nouvelles références de relations planétaires doivent s'inscrire dans une éthique différente, basée sur le partage et sur le respect mutuel entre peuples et nations. Une thèse défendue par le théologien brésilien de la libération Carlos Alberto Libânio Christo, plus connu sous le nom de Frei Betto. Celui-ci a séjourné en Suisse, où il a participé au cinquantième anniversaire d'E-CHANGER, organisation helvétique de coopération solidaire, dont il est conseiller et partenaire depuis de nombreuses années. Frei Betto, 65 ans, religieux dominicain, est écrivain et journaliste, conseiller des mouvements sociaux de son pays et militant social actif. Durant deux ans, il fut le conseiller personnel du président Luiz Inacio «Lula» Da Silva, mais il a quitté ses fonctions gouvernementales lorsque le programme «Faim zéro» qu'il coordonnait «a cessé d'être un programme d'émancipation pour devenir un moyen compensatoire à des fins électorales».
La crise mondiale préoccupe l'ensemble de la communauté internationale. Jusqu'ici, les réponses données ont-elles été effectives?
Frei Betto: Concernant des solutions de fonds, je doute fortement que les dirigeants des principales puissances mondiales s'en préoccupent réellement.
Mais les pays riches ont promis des montants substantiels pour combattre la misère dans le monde.
Certes, le G8 a accordé 15 milliards de dollars pour faire face à la pauvreté. Entre-temps, les mêmes dirigeants ont dépensé mille fois plus pour sauver le système financier. Avec une vision critique, nous pouvons arriver à la conclusion que ces dirigeants sont plus préoccupés par le sauvetage du système que par celui de toute l'humanité. C'est un cynisme terrible. Deux habitants du monde sur trois vivent dans la pauvreté. On ne peut accepter que 950 000 hommes et femmes aient faim, que 23 000 personnes – dont la majorité sont des enfants – meurent chaque jour de faim.
Comment expliquez-vous cette réalité?
La situation actuelle témoigne d'une profonde crise éthique. Elle touche toutes les sphères des relations entre nations et elle oblige à penser de nouveaux paradigmes. J'insiste sur ce point: les puissants veulent sauver le système et non l'humanité. La loterie biologique qui te fait naître en Suisse ou aux Etats-Unis plutôt que dans une favela de Sao Paulo au Brésil ou en Erythrée est absolument injuste. Et au lieu de nous sentir privilégiés par ce hasard biologique, nous devrions ressentir une grande dette sociale envers ceux qui souffrent de la faim et agir en conséquence.
Une réalité mondiale qui ne réussit pas à sensibiliser réellement la planète?
Les pays industrialisés les plus riches sont particulièrement préoccupés par la menace constituée par la crise sur leur niveau de consommation, dont les racines sont absurdes. Si on voulait généraliser la consommation du Nord à l'ensemble du globe, nous aurions besoin de trois ou quatre planètes pour obtenir des ressources suffisantes. C'est une erreur de penser que l'amélioration des conditions de vie des gens se réalisera grâce à la croissance économique. Cette croissance ne se reflète quasiment jamais sur les majorités, qui continuent à vivre pauvres, exploitées. La croissance réelle devrait se mesurer avec des paramètres et des indicateurs de développement humain...
Y a-t-il une possibilité que ce cadre, quasi fataliste, se modifie?
Oui, mais ce processus ne sera ni facile ni simple, mais les victimes de l'injustice vont nous obliger à changer d'attitude. Deux exemples évidents: premièrement, la dévastation de l'environnement affecte tout le monde, riches et pauvres, Nord et Sud. Et c'est une pression sur les prises de position de quelques gouvernements et responsables politiques mondiaux, même au-delà de leurs propres désirs et volontés. Deuxièmement, les migrations des populations appauvries vers les pays riches répondent au besoin de survie de ceux qui n'ont rien. Il n'existe ni police, ni armée, ni législation qui puisse empêcher cette tendance migratoire qui touche déjà les nations enrichies. Ce flux ne va pas s'arrêter. Les responsables politiques devront donc prendre des décisions conséquentes pour permettre aux pays pauvres d'entreprendre un processus de développement autonome qui permette à leurs populations de pouvoir y vivre.
Ces nouvelles références doivent-elles être cherchées à l'intérieur ou hors du système?
Depuis ma jeunesse, j'ai une formation et une expérience révolutionnaire. Mon paradigme, c'est la société postcapitaliste. Et cette société postcapitaliste s'appelle socialisme. Je suis un socialiste ontologique. Cela ne signifie pas que je considère comme un modèle toute référence socialiste historique, spécialement celle de l'Europe de l'Est.
L'essentiel de votre réflexion globale se nourrit de la réalité brésilienne et latino américaine. Quel moment politique ce continent vit-il?
Durant les dernières décennies, il a connu trois étapes très différenciées. La première, entre 1960 et 1980, celle des dictatures militaires, avec une répression généralisée, les disparitions forcées de personnes, la prison et l'exil. A suivi une période de néolibéralisme messianique qui a fait exploser les contradictions et la polarisation sociale. L'étape actuelle est marquée par un cycle de démocraties populaires. Les mouvements sociaux se sentent aujourd'hui écoutés et pris en compte, comme jamais auparavant. Beaucoup de leurs dirigeants participent même à des gouvernements.
Quel en est le signe le plus caractéristique?
L'existence d'une série d'initiatives régionales et continentales qui promeuvent des propositions d'intégration avec l'autonomie. Et c'est très important face à la longue histoire de dépendance coloniale dont nous avons souffert durant des siècles. Avec une note amère dans ce cadre positif: le coup d'Etat au Honduras, le 28 juin 2009. Nous avions pensé qu'il n'y aurait plus jamais de dictatures, et ce coup d'Etat ouvre un cadre préoccupant. La mobilisation latino-américaine contre le coup d'Etat est particulièrement significative. I
Note : Traduction: HP Renk
Collaboration: FEDEVACO
«Le Brésil d'aujourd'hui , celui de Lula, est bien meilleur qu'avec tout autre gouvernement du passé», affirme avec conviction Frei Betto. Il reconnaît le «rôle géopolitique, la crédibilité et la reconnaissance de Lula sur le plan international, son rôle de médiateur, sa présence déterminante sur le continent». Tout comme, énumère-t-il, le contrôle de l'inflation, certains programmes sociaux qui ont réduit la misère pour dix millions de personnes durant ces dernières années, et la non-criminalisation et la non-persécution des mouvements sociaux.
Néanmoins, les critiques de Betto envers la politique actuelle pèsent aussi très lourd: «Pour moi, le Parti des travailleurs (PT) est une grande désillusion: il s'est éloigné des mouvements sociaux, il a connu de nombreux cas de corruption, il a coopté le mouvement syndical.»
Son analyse n'est pas tendre: «J'espérais que le gouvernement aurait un projet national pour le Brésil... aujourd'hui, il n'a rien d'autre qu'un projet de pouvoir. Pour se maintenir, il doit faire alliance, y compris avec des forces diverses et douteuses. Il a renoncé à l'alliance avec le mouvement populaire. Il n'a pas implanté la réforme agraire, toujours en attente. Aujourd'hui, le gouvernement Lula a une grande dette agraire et écologique. Il n'a pas eu la volonté politique d'implanter la réforme agraire et quatre millions de familles continuent d'être sans terre. Il manque d'une sensibilité environnementale et l'Amazonie vit un processus irréversible de déforestation – et par conséquent de désertification – préoccupant.» SFI/ BWE
Descente de la police antinarcotique dans une favela. Fait inédit, les caïds ont réussi à abattre un hélicoptère de la police, tuant trois des cinq hommes présents à bord. (AFP)
Deux semaines après la désignation de la ville hôte de JO, le bilan des accrochages entre police et narcotrafiquants est édifiant
Une semaine meurtrière s’achève à Rio. Le bilan provisoire des accrochages entre forces de l’ordre et trafiquants de drogue est de 33 morts (trois policiers, trois civils, 27 suspects), et 41 arrestations.
La police poursuit ses opérations dans les favelas pour réprimer le trafic de drogue et retrouver les auteurs des violences qui ont éclaté deux semaines seulement après la désignation de la ville comme hôte des Jeux olympiques en 2016. Avec, pour point d’orgue, un fait d’une audace inédite: les caïds ont réussi à abattre un hélicoptère de la police, tuant trois des cinq hommes présents à bord.
Tout a commencé le samedi 17 octobre à l’aube, lorsque deux favelas voisines sont entrées en guerre. «Le Commando rouge», gang qui contrôle la première, est parti à l’assaut de la seconde, tenue par «Les amis des amis». Objectif: «prendre» les points de vente de drogue qui s’y trouvent.
Aucune grande ville brésilienne n’est épargnée par une violence qui atteint des niveaux parmi les plus élevés du monde. Mais le taux d’homicides dans l’Etat de Rio, 33 pour 100 000 habitants, est trois fois plus élevé que dans celui de São Paulo, pourtant beaucoup plus peuplé.
Si, à São Paulo, un seul gang règne en maître sur le trafic de drogue, à Rio, ils sont trois – fortement armés – à se disputer dans le sang ce fonds de commerce. Les points de vente de stupéfiants se situent dans les favelas, à la faveur du vide laissé par l’Etat dans ces poches de misère. Ce qui explique les invasions du territoire de l’ennemi. Pour l’anthropologue Alba Zaluar, coordinatrice du Centre de recherche sur la violence à l’Université de l’Etat de Rio de Janeiro, les derniers événements révèlent les «failles anciennes» des politiques de sécurité publique. «Les autorités de Rio misent davantage sur la répression que sur la prévention, explique-t-elle. Ça change, mais il reste beaucoup à faire.»
Si la guerre pour les points de vente de la drogue n’a rien de nouveau à Rio, elle s’est intensifiée ces derniers mois. Pour certains, c’est le résultat d’une nouvelle stratégie qui tend à réduire le territoire sous l’emprise des caïds: l’installation d’unités permanentes de police dans des favelas dominées par ces derniers. Reste que cette expérience – réussie – ne concerne encore que quatre des 43 favelas visées par le programme (la ville en compte près d’un millier).
Douze morts, dont deux policiers, et un hélicoptère de la police abattu
Quatre mille cinq cents policiers supplémentaires étaient mobilisés dimanche à Rio au lendemain des sanglants affrontements entre trafiquants de drogue et policiers qui ont fait 12 morts – dont deux policiers carbonisés dans la chute de leur hélicoptère abattu – et huit blessés.
José Mariano Beltrame, secrétaire de l’Etat de Rio à la sécurité, a indiqué que les renforts policiers venaient de plusieurs bataillons de la région métropolitaine, pour éviter de nouvelles tentatives d’invasion de favelas dans la ville. Dimanche, la situation était revenue à une apparente tranquillité dans les quartiers populaires du nord de la ville. Policiers civils et militaires sont en état d’alerte dans les casernes.
Samedi, la police était intervenue dans la favela dos Macacos, située près du stade Maracana, pour mettre fin à une fusillade entre bandes rivales de trafiquants.
Pour la première fois, un hélicoptère de la police a été abattu par les trafiquants et deux policiers ont été tués.
Lors d’affrontements postérieurs, qui ont semé la terreur dans tout le quartier, dix trafiquants présumés ont été tués par la police. Huit personnes dont deux policiers ont également été blessées. En représailles à l’opération policière, une dizaine d’autobus ont été incendiés dans les quartiers populaires du nord. La violence urbaine est un problème endémique à Rio, ville hôte des Jo de 2016.
(DR)
L’organisation écologique Greenpeace dénonce le marché conclu il y a une dizaine d’années entre le gouvernement bolivien et trois grandes entreprises de l’énergie. Polémique
L’approche de la conférence de Copenhague sur le climat intensifie une série de polémiques autour des moyens à employer pour limiter le réchauffement de la planète. L’organisation écologique Greenpeace y est allée de son couplet jeudi, en dénonçant le versement de crédits carbone (droits d’émettre du CO2) aux sociétés privées qui s’engagent à empêcher de la déforestation.
Dans une étude intitulée «Carbon Scam», Greenpeace s’en prend à l’une des plus anciennes, des plus célèbres et des plus importantes initiatives du genre: le Noel Kempff Climate Action Project (NKCAP). Le territoire concerné, 129 500 km2 de forêts sauvages situées en Bolivie, a été sanctuarisé il y a plus de dix ans par l’ONG américaine Nature Conservancy et les géants de l’énergie American Electric Power (AEP), PacifiCorp et BP Amoco. Contre paiement de 10,8 millions de dollars, le gouvernement de La Paz s’est engagé à y interdire toute émission de gaz à effet de serre, donc toute déforestation. En échange de leur versement, les trois sociétés privées sont censées recevoir à terme le droit d’émettre autant de gaz à effet de serre qu’elles en ont évitées là.
Le Protocole de Kyoto, à la pointe de la lutte contre le réchauffement climatique, a institué ce genre de mécanismes dits de «flexibilité». Mais s’il a prévu de récompenser le reboisement, il ne dit rien des efforts visant à éviter le déboisement. Pourquoi? «Ce genre de solutions n’existait qu’à l’état d’ébauche à l’époque», explique Andreas Fischlin, professeur d’écologie systémique terrestre à l’EPFZ et membre de la délégation suisse à la conférence de Copenhague.
Greenpeace se méfie d’un tel mécanisme. Après étude du cas, l’organisation écologique assure que le projet Noel Kempff est très loin d’épargner autant d’émissions de gaz à effet de serre qu’il le prétend (le chiffre officiel serait à diviser par… dix). Ses principaux griefs: les coupeurs de bois n’ont pas cessé de travailler mais se sont tout simplement déplacés (ce qui est gagné d’un côté est perdu de l’autre); les feux de forêt ont été très peu pris en compte, alors qu’ils sont susceptibles d’affecter grandement le résultat de l’opération puisqu’ils produisent des émissions supplémentaires de carbone; et les décomptes régionaux d’émission, régulièrement avancés, ne sont pas fiables. Au total, assure l’étude, si le déboisement a été limité ces dernières années en Bolivie, c’est en raison non du NKCAP mais d’une loi récente limitant l’octroi de concessions.
Les coupures d’électricité sont de plus en plus fréquentes dans le pays qui est le 5e exportateur mondial de pétrole. L’opposition au président Hugo Chavez accuse l’entreprise nationalisée d’incurie
Pour nombre de Vénézuéliens, c’est devenu une routine pesante. En début d’après-midi, ou plus tard en soirée, les pales de ventilateur ralentissent soudain, la telenovela laisse place à un écran noir, le réfrigérateur tousse et s’éteint. Au pays de l’or noir socialiste, cinquième exportateur mondial de brut, les habitants de plusieurs régions endurent ces coupures d’électricité avec une patience de plus en plus émoussée.
Dans la capitale régionale de Puerto La Cruz, des manifestants ont barré la semaine dernière les portes de l’entreprise publique d’électricité, Corpoelec, d’affiches marquées du slogan «Fermée pour inefficience». Ailleurs, des usagers ont brûlé leurs factures face au siège de l’organisme. «J’ai abîmé un frigo et un ordinateur à cause des coupures à répétition, et l’entreprise me facture toujours autant», explique une étudiante, Zulimar Castro, dans la presse locale.
Depuis dix-huit mois, elle a appris à vivre «avec une bougie à portée de main» pour faire face aux coupures surprises – l’une d’elles a plongé 70% du pays dans le noir pendant dix heures. Aujourd’hui, les responsables de Corpoelec évoquent ouvertement un «rationnement» organisé. C’est désormais officiel: deux ans et demi après la nationalisation des dernières entreprises privées du secteur électrique, et leur fusion au sein de la nouvelle entité publique, la production d’énergie vénézuélienne n’est plus à la hauteur de la demande.
«Cubanisation» du pays
Dans les régions affectées, l’opposition au président «révolutionnaire» Hugo Chavez raille une «cubanisation» du pays. «La centralisation et la nationalisation ont provoqué un manque d’investissements et d’entretien préventif», attaque une députée locale, Marianela Fernandez.
Les proches de Hugo Chavez se défendent en invoquant «la croissance disproportionnée de la demande»: de 7 à 8% par an, selon Francisco Rangel, gouverneur d’un des Etats les plus affectés. Pendant la flambée des cours du brut, des flots de pétrodollars se sont déversés dans les poches des consommateurs, grâce à des programmes sociaux et des crédits inférieurs à l’inflation, dopant les achats d’appareils électroménagers. Les grands travaux publics, avec l’édification de lignes de métro dans la plupart des métropoles, ont alourdi la facture. Et encore certaines brèches ont-elles été colmatées: la distribution gratuite de 68 millions d’ampoules fluocompactes, entamée en 2006, aurait permis de réduire de 5,5% les dépenses électriques actuelles.
Fabio Barbosa, directeur du groupe Santander au Brésil, lors de l’introduction en Bourse de sa société. L’indice Ibovespa a gagné 70% depuis janvier. (Keystone)
Au bénéfice de la plus importante entrée en bourse de ces 18 derniers mois, le pays profite par ailleurs de la hausse des cours des matières premières. Les exportations ont été diversifiées, notamment vers l’Asie
Ce fut la plus grande introduction en bourse depuis 18 mois dans le monde: Santander Brasil, filiale du groupe bancaire espagnol Santander, a levé l’équivalent de 8,3 milliards de francs la semaine dernière sur la bourse de São Paulo (Bovespa).
Signe, pour le président de la Bovespa, Edemir Pinto, de «l’attractivité du marché des capitaux brésilien pour les investisseurs étrangers».
Après avoir déserté le Brésil à cause de la crise, se défaisant de leurs actions pour couvrir les pertes sur les marchés développés, ces derniers font un retour en force qui explique largement la valorisation de plus de 70% de l’indice Ibovespa depuis janvier. Pas de risque de surchauffe pour autant, selon l’économiste Joaquim Eloi Cirne de Toledo. «La bourse ne fait que récupérer des pertes exagérées et reste en deçà de son pic de l’an dernier, explique-t-il. Dorénavant, les hausses seront forcément plus modérées.»
A l’origine de l’euphorie: la hausse du cours des matières premières exportées par les principales entreprises qui composent l’Ibovespa et la rapide sortie de crise de la première économie d’Amérique latine, qui n’a commencé à en sentir les effets qu’au dernier trimestre 2008.
Raillé pour avoir prédit que celle-ci n’aurait pas plus d’effet qu’un «clapotis» sur l’économie brésilienne, le président Lula est au jour d’hui soulagé.
Après six mois de récession, le PIB a progressé de 1,9% au second trimestre 2009 et devrait boucler l’année au-dessus de 0%. «Nous venions d’une croissance moyenne de 5% à l’an», rappelle Cirne de Toledo. Mais le Brésil devrait renouer avec un taux similaire dès l’an prochain, selon les prévisions.
Historiquement vulnérable aux chocs extérieurs, le pays s’en est bien mieux tiré cette fois. Notamment grâce à l’accumulation de 230 milliards de dollars de réserves internationales, de quoi couvrir largement les engagements extérieurs du pays. Ces réserves ont permis à la Banque centrale d’intervenir pour faire face au rétrécissement du crédit international. De plus, contrairement aux crises passées, le gouvernement n’a pas eu à relever le taux d’intérêt – qui est même passé à son plus bas niveau depuis les années 80 – ni à réduire les dépenses, au contraire.
Rio désignée ville hôte des Jeux de 2016. Le Brésil a changé. Il n’est plus à la périphérie. (AFP)
Le succès de la candidature de Rio de Janeiro pour l’attribution des JO 2016 a été accueilli, en Europe, avec une condescendance qui révèle notre ignorance de la puissance économique, du dynamisme et aussi des mentalités de la société brésilienne
Au soir de l’attribution des Jeux olympiques 2016 à la ville de Rio de Janeiro, le présentateur d’un journal télévisé français a annoncé qu’ils allaient pour la première fois à un pays émergent. Ce présentateur avait peut-être oublié les JO de Mexico en 1968 ou tenu compte du fait que l’expression n’avait pas encore été inventée il y a plus de quarante ans. Il a surtout oublié que le Brésil, aussi éloigné géographiquement soit-il du territoire européen, n’est plus un pays émergent mais un pays émergé.
Après avoir souligné l’étendue de la victoire de Rio sur la ville de Chicago, éliminée au premier tour malgré le soutien de Barack Obama, un géostratège a affirmé que c’était un cadeau fait à l’Amérique du Sud. Il y a quelques années, quand la ville de Londres a obtenu l’organisation des JO 2012, personne n’a eu l’idée saugrenue de dire que c’était un cadeau pour l’Europe. Au demeurant, les Brésiliens n’ont pas considéré qu’ils sollicitaient un cadeau, même en déposant leur dossier, même pendant la campagne électorale qui a précédé la réunion du CIO. S’ils n’allaient pas jusqu’à dire qu’ils considéraient les JO comme un dû, certains le pensaient tout bas.
Avant l’élection, beaucoup d’individus plus ou moins intéressés, c’est-à-dire plus ou moins proches de la concurrence, ont fait état de la violence qui règne à Rio de Janeiro dont les statistiques criminelles sont impressionnantes. Or la violence, en tout cas aux yeux de qui y passe suffisamment de temps pour se faire une idée personnelle, est surtout visible du fait de l’organisation urbaine. Si elle indique que l’Etat de droit n’est pas installé dans le moindre recoin du territoire, elle est généralement jugulée dans les grandes circonstances et elle est moins pesante dans la vie quotidienne de la ville que ne le disent la presse brésilienne et les cariocas eux-mêmes.
Les analyses qui ont accompagné l’élection olympique rappellent que nous regardons encore le reste du monde avec une certaine condescendance, surtout quand il s’agit de son économie et de sa capacité d’organisation, surtout quand nous ignorons ce qui s’y passe. Parce que nous avons conservé l’habitude de nous prendre nous-mêmes comme exemple ou que nous ne voulons pas nous avouer que le monde a changé, que nous n’y occupons plus la place qui était la nôtre autrefois.
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