samedi, janvier 24, 2009

Une Constitution ethnique ou intégratrice?

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Paru le Samedi 24 Janvier 2009 
   BERNARD PERRIN    

Solidarité
C'est une députée du Mouvement vers le socialisme, le parti d'Evo Morales, qui le dit sans ambages: malgré trois ans de gestion gouvernementale, le processus de changement n'a pas réellement démarré en Bolivie. «Certes, il y a eu la nationalisation des hydrocarbures, la mise en place d'un système de rente universelle pour les personnes de plus de 60ans et l'alphabétisation de l'ensemble de la population. Des avancées majeures! Mais nous avons besoin de cette nouvelle constitution pour enfin décoloniser le pays et refonder totalement la Bolivie», explique Julia Ramos. «La refonder sans discrimination, afin que tous les Boliviens soient égaux et unis, que chacun puisse vivre dignement dans ce pays», d'ajouter le vice-président de la république, Alvaro García Linera. 

Le peuple rédige et vote

Après 184 ans de vie républicaine, la Bolivie se prépare donc à faire sa vraie révolution! Pour la première fois de son histoire, c'est en effet le peuple, représenté par les 255constituants élus en 2006, et non une élite politique, qui a écrit la nouvelle charte fondamentale, soumise au référendum ce dimanche 25 janvier. 
Et pour la première fois, la majorité indigène du pays devient véritablement actrice du changement. «Comme dans de nombreux pays du monde, les constitutions boliviennes depuis l'indépendance en 1825 ont été de terribles instruments de domination sociale, aux mains d'une élite bourgeoise. Ce nouveau texte offre une rupture totale, il est anti-colonialiste et nous libère de l'esclavage néolibéral», relève Idon Chivi Vargas, avocat indigéniste au Vice-ministère des droits de l'homme. 


Deux justices égales

A côté de l'égalité des sexes, du droit à la maternité, du droit à vivre dans un environnement sain, et de droits sociaux, comme l'accès à l'eau potable, à des systèmes de santé et d'éducation gratuits, la nouvelle Constitution offre surtout une reconnaissance inédite des droits des trente-six nations indigènes originaires qui composent une (grande) partie du pays. Droit d'exister librement, droit à l'identité culturelle et religieuse, droit à leur propre vision du monde, droit aussi à leur libre détermination et à leur territoires. Et dans ce cadre, droit d'appliquer leurs justices traditionnelles (lire ci-contre), mises au même niveau hiérarchique que la justice ordinaire. 
Pour Eugenio Rojas, le maire de la petite ville d'Achacachi, bastion de la communauté aymara, près du lac Titicaca, c'est une reconnaissance logique: «La justice traditionnelle est plus morale, plus éthique et bien moins corrompue que la justice ordinaire, qui protège avant tout les riches. Le coupable doit réparer les conséquences de son acte, ce qui passe par exemple par les travaux d'intérêt général. La peine vise à une prise de conscience, à une réflexion de la part du coupable.» 
«Il y a des avancées dans ce texte avec la reconnaissance des droits des peuples indigènes, trop longtemps exclus», reconnaît volontiers l'analyste politique Carlos Cordero, placé à droite sur l'échiquier politique. «Et créer des droits spécifiques aux indigènes procède d'une bonne intention. Mais cela crée de nouvelles discriminations. On racialise la politique, on crée un fondamentalisme ethnique, on offre un traitement privilégié aux indigènes, par rapport aux populations métisses ou d'origines européenne, oubliés dans cette Constitution. Et on passe d'une nécessaire réparation historique à une regrettable revanche.» 


Pas assez socialiste

Si la droite rejette le nouveau texte constitutionnel, jugé trop «indigéniste», extrêmement «anti-libéral» et «démesurément étatiste au niveau économique», celui-ci ne fait pas non plus que des heureux à l'extrême gauche, signe peut-être qu'il a atteint malgré tout un niveau insoupçonné de consensus... 
Raul Jimenez, en tout cas, ne décolère pas. Doyen de la faculté de droit de l'Université San Andrés de La Paz, il dénonce une trahison: «Certes, la Constitution a été écrite par le peuple, mais elle est pleine de contradictions. Elle se prétend socialiste, mais elle reconnaît la propriété privée, c'est absurde!»

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