La nouvelle Bolivie est née
Paru le Mardi 27 Janvier 2009RÉFÉRENDUM - Selon les estimations, 60% des Boliviens ont adopté la nouvelle Constitution, prélude à une série de réformes fondamentales.
«Nous vivons la fondation d'une nouvelle Bolivie égalitaire. C'est la fin de l'Etat colonial et c'est la déroute du néolibéralisme. C'est un nouveau triomphe!» Dimanche soir, en compagnie de milliers de partisans réunis devant le palais présidentiel de La Paz, Evo Morales a célébré une étape essentielle dans l'histoire du pays. Pour la première fois en cent quatre-vingt-quatre ans d'indépendance, le peuple bolivien a en effet voté par référendum sur une nouvelle constitution. Et la majorité des 3,8 millions de citoyens ont approuvé le nouveau texte fondamental du pays. Avec 60% de oui selon les premières estimations, le résultat n'atteint pas le score obtenu par le président lors du référendum révocatoire du 10 août dernier, à savoir 67,7%.
Lente transition
Si cette baisse s'explique aisément par la complexité du vote sur un texte de 420 articles, ce vote illustre une fois encore l'impossible consensus bolivien: une large majorité du peuple appuie le processus de changement lancé depuis l'accession au pouvoir du premier président indien en décembre 2005, mais quatre des neuf départements, ceux de l'est du pays – Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando –, rejettent une constitution qui remet en cause leurs privilèges et qu'ils jugent trop «indigéniste».
«C'est la fin d'un Etat qui nous a exclus pendant cent quatre-vingt-quatre ans. Depuis aujourd'hui, tous les Boliviens jouissent des mêmes droits»: dans le petit bureau de vote de l'école Juvenal Mariarca, dans la ville d'El Alto, qui surplombe la capitale La Paz, Jaime jubile. Anticipant la victoire du oui, il annonce «le triomphe de la révolution du peuple des pauvres». Mais plus que de révolution, il va falloir parler de lente transition. Pavé de bonnes intentions, le nouveau texte constitutionnel inscrit en effet dans le marbre de nombreuses transformations de la société qui ne se concrétiseront que lorsqu'elles auront trouvé réellement corps dans une loi.
Travail titanesque
Les peuples indigènes, restés si longtemps en marge de la société, obtiennent de nouveaux droits après des décennies de luttes sociales. Reste à voir de quelle manière la réalité permettra de les mettre en pratique. L'économie communautaire, en voie de disparition dans un monde dont les moyens de production sont largement en mains privées, aura par exemple besoin d'un large soutien étatique. Cette forme d'économie représente pourtant une alternative au néolibéralisme, et replace «l'intérêt de la communauté» au premier plan.
Pour Antonio Peredo, sénateur du Mouvement au socialisme (MAS), et ancien candidat à la vice-présidence au côté d'Evo Morales en 2002, le changement structurel le plus profond de la société bolivienne se situe d'ailleurs précisément là: «Cette constitution instaure de nouvelles règles du jeu. Elle enterre le système libéral hérité de la Révolution française. Jusqu'à aujourd'hui, le droit d'une personne s'arrêtait là où commençait le droit d'autrui. C'est fini, désormais le droit d'une personne s'arrête là où commence le droit de la communauté et le bien commun».
Mais il faudra «au moins cinq ans, peut-être dix» pour implanter cette nouvelle constitution, un travail titanesque qui effraie même président Evo Morales, qui a récemment demandé le soutien de l'OEA, l'Organisation des Etats américains. Plus d'une centaine de nouvelles lois doivent en effet être rédigées. Mais il faudra aussi rendre compatibles à la nouvelle charte fondamentale les douze mille textes légaux actuellement en vigueur en Bolivie.
Un des premiers défis majeurs sera celui d'adopter une nouvelle législation sur l'organe judiciaire. Avec notamment l'élection des juges par le peuple, le système entend rompre avec l'ancien régime miné par la corruption et le népotisme. «Mais pour le gouvernement d'Evo Morales, les plus grands défis, ce seront l'adoption de la loi anti-corruption, et de deux lois clé: la loi de réforme de l'éducation et la loi de santé universelle, qui offriront toutes deux un accès gratuit au peuple bolivien», explique le sénateur du MAS. Depuis plusieurs semaines, des groupes de travail, composés de membres du gouvernement et des mouvements sociaux, sont à pied d'oeuvre. L'objectif est de présenter dans les délais les plus courts une quinzaine de projets de loi, que le Congrès devrait adopter avant la fin de l'année et les élections générales – présidentielle et législative –, fixées au 6 décembre prochain par la nouvelle Constitution.
«La droite ne s'avouera pas vaincue»
Un processus de «dialogue national» sera «indispensable», estiment la plupart des analystes politiques. Antonio Peredo n'a pas la même lecture des faits: «La droite ne va pas s'avouer battue, et il faut s'attendre à ce que la tension permanente et la confrontation politique, parfois hargneuse, continuent tout au long de l'année.» Les préfets de droite des départements de l'Est lui ont d'ores et déjà donné raison, en annonçant qu'ils rejetteront une constitution qui n'a pas obtenu le soutien de leurs concitoyens (malgré l'incorporation d'une large autonomie départementale), si leurs revendications ne trouvent pas un écho favorable auprès du gouvernement.
La droite bolivienne, nationale ou départementale, va pourtant devoir se soumettre à un examen de conscience pour élaborer un programme politique crédible. Elle devra reconnaître les changements profonds de la société bolivienne, «le fait que le monde qu'elle tente de défendre n'existe plus», comme le note Antonio Peredo. D'anciens présidents (Carlos Mesa, Jaime Paz Zamora) ou le vice-président indigène Victor Hugo Cardenas ont réinvesti les médias et sont d'ores et déjà en campagne, en vue des élections du 6 décembre prochain, qui seront surtout cruciales pour la représentation des forces politiques au sein du Congrès.
Actuellement, le MAS, le parti d'Evo Morales, possède la majorité à la chambre des députées, mais il est minoritaire à la chambre des sénateurs, base de tous les blocages législatifs depuis trois ans. La tactique de ces dinosaures de la politique bolivienne? Attaquer frontalement la gestion d'Evo Morales. Pas de quoi effrayer Antonio Peredo: «Cinq ans au moins, c'est le temps qu'il faudra à la droite bolivienne pour renaître, et pour construire un programme lui permettant réellement de représenter une opposition constructive au processus de changement d'Evo Morales». I
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire