mercredi, janvier 28, 2009

Conquérir la terre... et la respecter

Conquérir la terre... et la respecter

Paru le Mercredi 28 Janvier 2009 
   RACHAD ARMANIOS, RIO BONITO (ULIANOPOLIS    

FSM - Belem 2009REPORTAGE - L'Etat du Pará, qui reçoit le FSM, voit s'affronter deux modèles agricoles. José Pretinho cueille une mangue, ouvre un cupuaçu –un fruit acide, de la famille du cacao–, montre les ananas qui sortent de terre. Plus loin, il pointe les noix de cajou, le manioc, les plantes médicinales et autres cultures que la communauté de paysans de l'asentamento1 Rio Bonito fait pousser dans la municipalité amazonienne d'Ulianópolis, à 60km du chef-lieu éponyme. Réunies en association, 150familles s'efforcent d'y développer une agriculture diversifiée, en harmonie avec la forêt, ses rythmes et ses contraintes. Avec l'appui d'un programme gouvernemental, ils apprennent un nouveau savoir-faire, abandonnant les méthodes fondées sur le défrichage systématique, les brûlis et la dépendance à quelques cultures comme le riz ou les haricots.
José Pretinho, 57ans et quatorze fois papa, est chargé par sa communauté de relayer les conseils techniques qu'on lui a dispensés. Dans une pépinière, il fait pousser des plants d'arbres nobles. «Le bénéfice ira aux enfants des enfants de mes enfants», sourit le paysan, en faisant allusion aux décennies de croissance du mogno. Ce bois est acheté aux producteurs environ 10francs le m3. Il est revendu à l'export entre 1000 et 1400francs. Mais l'agriculteur ne songe pas au gain pécuniaire. Son but est, modestement, de contrer la logique de déboisement dans cette région de l'Etat du Pará, la plus dévastée de l'Amazonie. Cette préoccupation écologique est partagée par les dizaines de milliers de participants au Forum social mondial qui s'est ouvert hier à Belém, environ 400kilomètres plus au nord.
En trente ans, 18 000km2 ont été défrichés dans la municipalité d'Ulianópolis. Soit 80% du territoire, ou un peu moins de la moitié de la Suisse. Le long de la route fédérale qui descend vers le sud, les élevages bovins alternent avec les cultures intensives de soja et de canne à sucre. Le paysage se répète inlassablement: là où les terres asséchées par la surexploitation ont été abandonnées, la végétation reprend timidement ses droits. 
Certains arbres, comme les imbaubas, grandissent rapidement, mais il faut compter près de septante ans pour que la forêt se reconstitue. A condition de lui en laisser le temps. A une bifurcation, on aperçoit des centaines de fours en brique où l'on transforme en charbon les déchets de bois de la scierie voisine. Pour emprunter le tronçon en terre menant à Rio Bonito, il faut s'arrêter à un péage. Une entreprise l'a installé sous prétexte d'entretenir cette route publique où défilent ses camions chargés de troncs.
Dans l'asentamento, Rosano Lopes dos Reiso explique comment la communauté, dont il est l'un des plus vieux fondateurs, a conquis son droit à la terre. «Lorsque nous sommes arrivés en 1991, suivant un flux migratoire, il n'y avait ici que de la forêt. On venait de l'Etat voisin de Maranhão, pensant faussement qu'il y avait à Ulianópolis du travail bien rémunéré. Nous avons alors occupé illégalement 8740 hectares aux alentours du Rio Bonito. Nous étions 600personnes.»
Le vieil homme raconte alors la lutte: «Un habitant de Sao Paulo est venu en faisant valoir un titre de propriété que la justice n'a pas reconnu.» Rosano se souvient de 73pistoleiros (miliciens privés) débarquant pour les expulser. Mais les paysans n'ont pas cédé aux menaces: «Heureusement, personne n'a été tué. Du moins chez nous...»
Aujourd'hui, l'asentamento n'est toujours pas légalisé. Mais, forts d'un protocole en vue d'un titre de propriété, les paysans ne craignent pas d'être délogés. En outre, leurs cultures leur fournissent une partie de leurs besoins alimentaires et, grâce à un programme gouvernemental, ils vendent des excédents aux restaurants des écoles publiques de la région. Mais en mai, les aides techniques et financières se termineront. Or bien des projets, au Brésil, échouent faute d'une formation adéquate de leurs bénéficiaires. 
Vingt-cinq familles, quant à elles, comptent sur l'entreprise voisine Pagrisa, en consacrant en tout 450hectares de leurs terres à la canne à sucre. «En leur achetant ces récoltes, nous leur offrons une rente annuelle leur permettant de cultiver les autres produits qu'ils commercialisent en ville», se félicite Fernão Zancaner, directeur de cette firme brésilienne. Elle exploite 12 000 hectares de champs de canne et a produit, l'an passé, 30millions de kilos de sucre et 30millions de litres d'éthanol (uniquement pour le marché brésilien). Pour récolter la canne, elle emploie environ 1200saisonniers. 
Le «partenariat social» avec l'asentamento, comme le qualifie Fernão Zancaner, est dû «aux bonnes relations que mon père, qui a fondé la société en 1967, a toujours eues avec ces paysans. Nous les aidons à se fixer sur leurs terres et freinons ainsi l'exode rural.» Dans le même élan, Pagrisa a financé la rénovation de l'école municipale et du poste sanitaire, payant le salaire de deux enseignants et d'une infirmière.
«Pagrisa cherche à améliorer son image», s'insurge Rita Teixeira. Militante d'un mouvement de femmes du Pará implanté dans l'asentamento, elle rappelle que l'Inspection du travail a dénoncé en 2007 les conditions de labeur, de logement et sanitaires des ouvriers agricoles de cette entreprise. Sans aucun statut légal ou droits sociaux, ils voyaient leurs salaires de misère presque annulés par les décomptes faits au titre de l'alimentation et des remèdes consommés. La presse a parlé de la plus spectaculaire libération d'esclaves que le Brésil a connue. 
Fernão Zancaner conteste, parlant de mensonges propagés par la concurrence. Pagrisa a payé les charges sociales et apporté des améliorations, mais n'a pas honoré l'amende infligée. Elle a aussi saisi la justice. L'affaire suit son cours. 
«Parmi les ouvriers qui ont dénoncé leurs conditions, il y avait des paysans de Rio Bonito, raconte Rita Teixeira. Ceux-là ne peuvent plus travailler avec la firme. Aujourd'hui, elle divise la communauté en cherchant à élargir le nombre de familles lui fournissant de la canne. Par ce lien de dépendance et divers cadeaux, elle espère les contrôler tout en étendant ses champs.» 
L'apiculture est une alternative à ce «piège» que trente-cinq familles ont choisie, poursuit-elle. «Mais les engrais chimiques utilisés pour la canne posent problème.» Pagrisa en répand 400kilos par hectare.
Les pêcheurs, également, attrapent moins de poissons et les açais (des palmiers) s'assèchent au bord des rivières, témoignent les paysans. «Les analyses que nous avons faites n'ont montré aucune infiltration chimique profonde dans la terre», répond Fernão Zancaner. I

Note : 1 Lieu habité à la suite d'une occupation.

mardi, janvier 27, 2009

Nouvelle Consitution dans une Bolivie divisée

AMÉRIQUE LATINE Mardi27 janvier 2009
Nouvelle Consitution dans une Bolivie divisée

PAR VINCENT TAILLEFUMIER, BOGOTA
Le référendum a été accepté par trois électeurs sur cinq. L’opposition convervatrice appelle à la «désobéissance».
Dès les premières projections, dimanche soir, Evo Morales s’est présenté, triomphal, au balcon du Palais présidentiel. «Nous avons mis fin à l’Etat colonial», a lancé le président socialiste bolivien. Les enquêtes de sortie d’urnes prévoyaient l’approbation de la Constitution pro-indienne et sociale par 56 à 63% des voix, lors du référendum qui venait de se dérouler sans anicroche.

Devant les milliers de partisans qui brandissaient le drapeau indien à damier coloré, le chef de l’Etat aymara pouvait proclamer la victoire de sa «révolution pacifique et démocratique». Par le nouveau texte, les 36 «nations originelles» et les neuf départements du pays doivent obtenir des pouvoirs étendus, des programmes sociaux être pérennisés, le latifundio être limité à 5000 hectares, et l’Etat voir son poids dans l’économie renforcé.

Mais à 400 kilomètres de là, d’autres slogans résonnaient sous les fenêtres de la préfecture de Sucre, ville bastion de l’opposition. Au cri de «désobéissance!», l’élue régionale, Savina Cuellar, elle aussi au balcon, appelait les électeurs à rejeter la nouvelle Constitution. Dans sa ville, comme dans quatre départements menés par les conservateurs, le non l’aurait emporté.

Les dirigeants opposants, pour beaucoup issus d’une élite de grands propriétaires, avaient bien accepté en octobre d’aller aux urnes, en échange de la modification de plus du quart du projet de Constitution. Mais hier, comme Savina Cuellar, ils se valaient de leurs victoires locales pour exiger la «conciliation» d’un nouveau texte.

C’est un nouveau bras de fer qui s’annonce pour ls pouvoir, après une année 2008 déjà marquée par une guérilla juridico-légale et des heurts meurtriers entre manifestants. L’opposition, concentrée dans une «demi-lune» orientale riche en agro-industrie et en gisements de gaz, veut faire appliquer à marche forcée des textes d’autonomie, approuvés l’an dernier lors de référendums régionaux jugés «illégaux» par les autorités. Selon le dirigeant conservateur Ruben Costas, ces projets – contrairement aux «fausses autonomies» que propose la nouvelle Constitution – permettraient de s’émanciper de la tutelle indienne et socialiste du pouvoir central. Pour prévenir l’incendie, le ministre Hector Arce a appelé les opposants à se concerter rapidement pour trouver un régime commun pour les départements.

Dans ce tête-à-tête tendu, Evo Morales a reçu hier le renfort d’une mission d’observateurs électoraux du Mercosur, qui rassemble les pays de la région autour de l’Argentine et du Brésil. L’organisation a salué des «élections exemplaires» et espéré que les résultats soient respectés par «tous les Boliviens».

Fort de cette légitimité, le vice-président, Alvaro Garcia, qui dénonce le «tribalisme électoral» des conservateurs, menace de faire appliquer la Constitution par décret si le Sénat, où l’opposition est majoritaire, tentait de la bloquer. L’épreuve du feu se déroulera avant avril, avec le vote d’un nouveau code électoral pour les élections générales de décembre prochain. Les élus devront décider du poids des circonscriptions indiennes dans le futur parlement «multiculturel», sans doute décisif pour donner aux partisans du président Morales la majorité absolue qui leur a cruellement manqué jusqu’ici.

Chute des cours du gaz

En même temps, le gouvernement doit affronter un autre adversaire implacable: la chute des cours du gaz, sa principale source de revenus, accompagnée d’une possible baisse des commandes de son puissant client brésilien. Des moyens en moins pour financer les très populaires programmes d’aide sociale et continuer à récolter des acclamations sous les balcons de la présidence.

«La venue de Lula est un signe fort»

«La venue de Lula est un signe fort»

Paru le Mercredi 28 Janvier 2009 
   SERGIO FERRARI, BELÉM DO PARÁ    

FSM - Belem 2009
Il aura fallu que s'ébroue la manif estation d'ouverture (lire ci-dessus) du Forum social mondial (FSM) pour que Belém prenne réellement conscience de la dimension de cette rencontre internationale. A la veille de l'événement, les mouvements sociaux brésiliens, eux, ne cachaient pas leurs fortes attentes. «C'est un moment historique pour nous», s'exclame Carmen Helena Foro, dirigeante nationale du Syndicat des travailleurs ruraux du Brésil et vice-présidente de la Centrale unique des travailleurs (CUT). Cette organisation, traditionnellement proche du Parti des travailleurs de Lula, est la principale confédération du pays, avec 3299 syndicats affiliés et 28millions de membres. Carmen Helena Foro, âgée de 42ans, originaire des environs de Belém, est venue dans sa ville pour participer à cette édition du FSM. 


La venue de Lula, jeudi à Belém, pour participer avec quatre autres présidents de la région –Hugo Chávez (Venezuela), Evo Morales (Bolivie), Fernando Lugo (Paraguay) et Rafael Correa (Equateur)– peut-elle être comprise comme une tentative de reconquérir la sympathie des mouvements sociaux brésiliens?

Carmen Helena Foro: Je ne partage pas cette hypothèse. Malgré nos sérieuses critiques envers son gouvernement, Lula n'a jamais cessé de venir à Belém durant ces années. D'autre part, il a maintenu la communication et le dialogue avec les mouvements sociaux. Il n'a pas besoin de profiter d'un forum pour rétablir une relation, qui reste ouverte et active. Je pense néanmoins que la visite de Lula, cette semaine, dans le cadre du FSM est un signe fort adressé à tous les secteurs politiques et économiques du pays et aux acteurs sociaux qui arrivent du monde entier. 


C'est-à-dire...

L'Amazonie est aujourd'hui l'une des régions les plus complexes et les plus contradictoires du Brésil. D'une part, elle subit de graves atteintes environnementales, avec une forte présence d'entreprises nationales et de multinationales, qui en sont responsables. Et, en même temps, y existent des mouvements sociaux actifs qui cherchent des alternatives, s'organisent et se mobilisent Cette réalité définit un contexte où la présence et la parole de Lula peuvent être très importantes. D'autre part, Lula vient à Belém pour apporter son appui à ce grand projet mondial qui préconise la construction d'un autre monde possible. 


Belém rassemble ces jours les représentants de la société civile latino-américaine et mondiale. Quel est réellement aujourd'hui l'état des relations entre les syndicats brésiliens et leurs collègues du continent? Et, plus généralement, entre les mouvements latino-américains?

Bien qu'ils se soient renforcés, ces contacts ne convergent pas encore dans une pratique systématique commune. En cette étape historique que traverse l'Amérique latine, nous devons faire un pas en avant substantiel du point de vue de l'intégration régionale. Des propositions d'intégration économique et commerciale existent, mais elles manquent parfois de clarté en matière sociale. Il est essentiel de ne jamais baisser la pression sur nos gouvernants pour trouver chaque jour des réponses plus claires, rapides et effectives sur les thèmes essentiels que sont l'augmentation de la faim, la précarisation du travail et des travailleurs, la réponse à la crise financière et économique, l'environnement, etc. Le moment est essentiel, et les défis que nous devons affronter le sont tout autant. Les attentes de notre base sont énormes. 


En ce sens, que signifie et que peut apporter cette session du FSM?

Ce sera un moment grandiose de rencontre entre les mouvements sociaux et pour avancer davantage dans le processus de résistance des travailleurs, une opportunité unique de communication entre les peuples, la possibilité de clarifier et d'impulser avec plus d'énergie les réalisations sociales et populaires. De plus, c'est un espace privilégié pour que les femmes continuent à construire ensemble nos propositions, nos réseaux et nos projets. 


Le forum intervient toutefois en un moment de crise pour lessyndicats brésiliens.

La structure productive du pays a beaucoup changé ces dernières décennies. Cela implique aussi, comme dans une grande partie du monde et de l'Amérique latine, la nécessité d'une recomposition du mouvement syndical. Dans notre cas, il y a quelques mois, un courant interne de notre organisation a quitté la CUT en raison de divergences organisationnelles et politiques. Néanmoins, il serait injuste de parler de crise, spécialement par rapport à l'objectif essentiel du programme de notre organisation: la défense de la dignité et des conditions de vie des travailleurs. Cela continue d'être un pilier non négociable de notre organisation. 


Depuis 2003, un ex-syndicaliste et dirigeant de la CUT est à la tête duBrésil. L'ère Lula aura-t-elle été favorable au travail syndical?

Cela nous a surtout obligés à certaines réorientations. Lors de l'arrivée de Lula à la présidence, nous vivions une étape difficile. Néanmoins, nous sommes parvenus à conserver notre indépendance et sommes très critiques sur certains points clefs de sa gestion de Lula. Pour sa part, il a préservé –je crois avec la majorité des mouvements sociaux brésiliens– un espace permanent de dialogue. C'est très positif. 


Quelles critiques formulez-vous?

Particulièrement, sur la lenteur de la réforme agraire, laquelle est une revendication très importante pour de larges secteurs sociaux du Brésil. Son avancée durant le gouvernement de Lula laisse beaucoup à désirer. Cette critique claire est sans aucun doute un point de consensus pour tous les mouvements sociaux de mon pays

samedi, janvier 24, 2009

BOLIVIE: LA RECONQUÊTE PACIFIQUE DES INDIGÈNES

BOLIVIE: LA RECONQUÊTE PACIFIQUE DES INDIGÈNES

Paru le Samedi 24 Janvier 2009 
   BERNARD PERRIN, SANTA CRUZ    

SolidaritéTrois ans après l’élection d’Evo Morales, les Boliviens s’apprêtent à inaugurer leur nouvelle maison commune. Le projet de Constitution soumis aux voix dimanche devrait consolider les réformes juridiques, sociales, politiques et économiques en cours. Une «décolonisation du pouvoir» qu’illustre la réforme agraire en pays guarani. 
Imaginez qu'une famille soit propriétaire de l'équivalent de la superficie du canton du Valais... ou de plus de 500000 terrains de football. Et que sur ce même territoire, des milliers de paysans sans terre survivent en esclavage, avec au mieux un salaire de misère, au pire juste de quoi nourrir leur famille. Bienvenu dans le département de Santa Cruz, terre des inégalités! Dans cet Oriente bolivien où seulement 5% des plus riches propriétaires possèdent 85% des surfaces cultivées... Dans la région reculée de l'Alto Parapeti1, à quelques heures de jeep de la petite ville pétrolière de Camiri, le temps semble s'être figé. Et le paysage magnifique, fait de vallées et de montagnes recouvertes d'une végétation luxuriante, rappelle le paradis perdu. Perdu, car dans ce monde oublié, le XXIesiècle rime encore avec esclavage pour le peuple guarani. Dans les énormes propriétés privées de plusieurs milliers d'hectares, des communautés entières vivent toujours en état de servitude, soumises à un patron. 
Les Guaranis ont habité cette région au moins depuis le XIVe siècle, et ont résisté à toutes les tentatives de colonisation pendant plus de trois cents ans, jusqu'à leur défaite militaire en 1892 lors de la bataille de Kuruyuki. Le territoire fut alors distribué par l'Etat aux propriétaires terriens, boliviens ou étrangers, et les «bons sauvages» guaranis furent dispersés dans les différentes haciendas, utilisés pour le travail aux champs. Une main d'oeuvre corvéable à souhait bienvenue... 


Un siècle de travail forcé

Des communautés entières furent ainsi privées de leurs terres fertiles et réduites au travail forcé. «Ce fut le début de la période la plus pénible de notre histoire, qui n'est malheureusement pas encore terminée», explique Felicia, assise devant sa petite hutte faite de bois et de paille. Dans sa communauté d'Itacuatia, la vieille dame, 67ans, témoigne d'un passé qui se mêle au présent: «J'ai été séparé de ma famille quand je n'étais encore qu'une enfant, pour entrer au service de la famille Chávez. Dans leur hacienda, depuis toute petite, j'ai lavé le linge, pelé les légumes et préparé les repas. Je ne suis jamais allée à l'école et pendant très longtemps je n'ai pas su ce qu'était l'argent. Les hommes, eux, étaient aux champs, du lever du soleil à la tombée de la nuit.» 
Selon l'Assemblée du peuple guarani, Itacuatia compterait aujourd'hui encore trente familles soumises à une forme ou à une autre d'esclavage ou de servitude. «Nous recevons des salaires de misère, en général 15bolivianos (un peu plus de 2francs) pour une journée de dix ou douze heures de labeur. Et il y a encore peu, nous n'étions rétribués que par un peu de sucre, du savon, quelques cacahuètes...», confirme Nicanor Cerezo Bejarano, le mburuvicha (le chef) de cette communauté. Et comme tous ses compagnons, il est lié au propriétaire par une supposée dette qui se transmet de père en fils. Résigné, il se sent encore incapable d'imaginer un autre futur que celui de «vivre et mourir sur cette terre qui m'a vu naître, au service d'un maître». 


2009, année de la libération?

Et pourtant... L'espoir que plus d'un siècle d'exploitation prenne fin cette année est bien réel... Pendue à un arbre, une vieille radio grésille pour l'ensemble des familles d'Itacuatia. Le programme de Patria Nueva, un canal pro-gouvernemental, fait la promotion de la nouvelle Constitution. Nicanor Cerezo Bejarano écoute pensivement: «Ce nouveau texte fondamental pourrait nous offrir enfin ce que nous voulons: vivre librement, en travaillant notre propre terre et en nous organisant en communauté. Alors le 25 janvier, nous irons tous voter, évidemment.» 
Le vice-ministre des Terres, Alejandro Almaraz, l'a lui-même clamé haut et fort: cette année 2009 sera celle de la libération du peuple guarani et de la fin de l'esclavage. Il y a moins d'un an pourtant, l'avenir de la réforme agraire dans ce coin de pays semblait bien compromis. En avril 2008, trois grands propriétaires terriens, soutenus par l'oligarchie la plus conservatrice de Santa Cruz et par la préfecture de droite, avaient même pris les armes contre le gouvernement. Et ce même Alejandro Almaraz fut retenu en otage pendant sept heures par les propriétaires terriens rebelles et leurs groupes de choc. «Mais en août, en plébiscitant le président avec 67% de votes, le peuple bolivien a mis en déroute cette droite fasciste, et avec elle les propriétaires terriens», raconte Don Valerio Castaño. Le vieil homme travaille lui aussi pour la famille Chávez, depuis plus de vingt ans. La sueur perle sur son front ridé alors que la température dépasse les 37degrés. Mais désormais un léger sourire crispe son visage: «Fin novembre, les fonctionnaires du gouvernement ont pu reprendre le processus d'assainissement des terres de l'Alto Parapeti, sans que les propriétaires terriens ne leur tirent dessus. Ils ont pu effectuer leur travail de terrain, maintenant nous attendons le résultat et une éventuelle redistribution...» 


Extrême précarité

Les chefs des communautés guaranis de l'Alto Parapeti ont transmis au gouvernement une demande de reconstitution d'une Terre communautaire d'origine (TCO) de 157000 ha dans le cadre de l'assainissement foncier. L'histoire est donc en passe de rendre aux Guaranis ce qu'elle leur a volé. Mais Don Valerio n'ose pas encore y croire: «Il faut nous comprendre... La peur des patrons est ancrée quasi génétiquement en nous. On a peur de tout, peur de parler, peur des représailles...» 
Les propriétaires terriens pourtant font désormais profil bas. L'un d'eux, Ronald Larsen, qui avait tiré dans les pneus de la voiture du vice-ministre en avril, aurait même quitté le département, peut-être la Bolivie. 
Mais pour ne pas être accusés de maintenir des communautés en régime d'esclavage, et donc de perdre leurs terres, les Chávez ont récemment privé les Guaranis de travail, espérant du même coup les contraindre à quitter la région. Sans le salaire de misère octroyé par le patron et toujours sans terre, les milliers de Guaranis qui composent les dix-neuf communautés de l'Alto Parapeti vivent aujourd'hui dans la précarité la plus absolue. «On cultive en cachette, clandestinement, de petites parcelles qui appartiennent bien sûr au latifundiste. Mais cela nous donne à peine de quoi nourrir nos familles», poursuit Don Valerio. 
Pourtant dimanche, même l'estomac vide, Don Valerio ira voter le coeur léger: «Pendant des années, j'ai fait ce que le patron exigerait de moi, je vivais dans la peur, sans pouvoir me défendre contre les mauvais traitements, dans l'ignorance de mes droits, faute d'éducation. L'histoire a changé. Avec le gouvernement d'Evo, avec cette nouvelle Constitution, les Guaranis vont pouvoir enfin être maîtres de leurs terres, et de leur destin.»I 

«Nous avons une dette historique envers les peuples indigènes»

    PROPOS RECUEILLIS PAR BPN    

Solidarité
Il n'a pas hésité, en avril dernier, à affronter directement les propriétaires terriens, quitte à essuyer leurs tirs. Et il n'a pas attendu que la Constitution inscrive dans le marbre les principes de la réforme agraire pour aller de l'avant. Avec ses lunettes à monture noire et sa barbe de jeune révolutionnaire, le vice-ministre des Terres, Alejandro Almaraz, incarne bien ce processus impulsé par le gouvernement. 


Etes-vous satisfait du cours de la réforme agraire?

Très satisfait. En trois ans, nous avons assaini1 18,3millions d'hectares (ha), soit deux fois plus que ce qui avait été réalisé depuis 1996. Et surtout, ce processus bénéficie enfin aux communautés. Sept millions d'hectares ont ainsi été remis aux peuples indigènes en Terres communautaires d'origine (TCO), et plus de 2,3millions aux communautés paysannes. 


Au détriment des entreprises privées?

Non, 600000 ha ont été titularisées à des petites entreprises et plus de 900 000 ha aux moyennes et grandes. Cela montre qu'il ne s'agit pas, contrairement à ce que prétend l'opposition, d'une réforme anti-démocratique, qui exproprie les privés. Au contraire, nous leur offrons la sécurité juridique. 


Où en est le processus d'assainissement?

Vingt-sept millions d'hectares sont assainis, mais la Bolivie en compte 106... J'estime qu'il nous faudra encore cinq ans pour arriver au terme du processus. L'an dernier, nous avons pu déclarer un premier département entièrement assaini, celui de Pando, qui compte 6,5millions d'ha. Avant, les communautés indigènes n'y avaient pratiquement aucun droit sur la terre, désormais elles sont titulaires de 2,5millions d'hectares, dont 500 ha attribué à chaque famille . 


D'où proviennent ces terres redistribuées?

Ce sont les terres qui étaient inexploitées, qui ne répondaient pas à la fonction économique et sociale. Je vous donne un exemple. Dans le département de Pando, une famille réclamait 300000 ha. Or l'étude sur le terrain a montré que seul 1% de cette surface répondait à la fonction économique et sociale. Et seul ce pour-cent a donc été titularisé... 


Qu'est-ce que la fonction économique et sociale?

C'est un principe fondamental qui est inscrit pour la première fois dans le marbre de la Constitution! Une terre qui n'est pas exploitée ou qui l'est mais au travers de la survivance de l'esclavage ne remplit pas la fonction économique dans le premier cas et la fonction sociale dans le second. Elle est alors expropriée, sans indemnisation, et l'Etat se charge de la redistribuer, par exemple à ceux qui la travaillent, à des communautés soumises à un maître. 


C'est le cas de l'Alto Parapeti...

Oui, et l'année 2009 sera celle de la libération du peuple guarani et de la fin de l'esclavage! Il y a eu une résistance de la part de quelques propriétaires terriens, qui ont même pris les armes contre nous l'an dernier, et qui s'opposent à la fin de leurs privilèges insensés, à cette accaparement inadmissible de dizaines de milliers d'hectares. Ils étaient appuyés par l'oligarchie conservatrice de Santa Cruz et par les mouvements séparatistes et autonomistes. Mais cette droite extrémiste et raciste a été défaite, et les propriétaires terriens avec elle. La redistribution de terres dans cette région est désormais imminente... 


La Constitution ne fait-elle pas la part trop belle aux peuples indigènes?

Non, nous avons une dette historique à payer, celle de l'humiliation de communautés qui formaient ce pays avant la conquête espagnole, et qui ont souffert de siècles d'exploitation et de discrimination... 


Qu'apporte encore la nouvelle Constitution?

Elle renforce la gestion communautaire de la terre. Ici, en Bolivie, nous ne pensons pas qu'il s'agisse d'une utopie, comme le pense la droite et une partie de la gauche. Ce système a pour but le bien commun, tout en respectant l'individu. Il est harmonieux. 
Note : 1L'assainissement consiste à vérifier la validité du titre de propriété et la légalité de l'exploitation puis à redistribuer les terres saisies..

Une Constitution ethnique ou intégratrice?

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Paru le Samedi 24 Janvier 2009 
   BERNARD PERRIN    

Solidarité
C'est une députée du Mouvement vers le socialisme, le parti d'Evo Morales, qui le dit sans ambages: malgré trois ans de gestion gouvernementale, le processus de changement n'a pas réellement démarré en Bolivie. «Certes, il y a eu la nationalisation des hydrocarbures, la mise en place d'un système de rente universelle pour les personnes de plus de 60ans et l'alphabétisation de l'ensemble de la population. Des avancées majeures! Mais nous avons besoin de cette nouvelle constitution pour enfin décoloniser le pays et refonder totalement la Bolivie», explique Julia Ramos. «La refonder sans discrimination, afin que tous les Boliviens soient égaux et unis, que chacun puisse vivre dignement dans ce pays», d'ajouter le vice-président de la république, Alvaro García Linera. 

Le peuple rédige et vote

Après 184 ans de vie républicaine, la Bolivie se prépare donc à faire sa vraie révolution! Pour la première fois de son histoire, c'est en effet le peuple, représenté par les 255constituants élus en 2006, et non une élite politique, qui a écrit la nouvelle charte fondamentale, soumise au référendum ce dimanche 25 janvier. 
Et pour la première fois, la majorité indigène du pays devient véritablement actrice du changement. «Comme dans de nombreux pays du monde, les constitutions boliviennes depuis l'indépendance en 1825 ont été de terribles instruments de domination sociale, aux mains d'une élite bourgeoise. Ce nouveau texte offre une rupture totale, il est anti-colonialiste et nous libère de l'esclavage néolibéral», relève Idon Chivi Vargas, avocat indigéniste au Vice-ministère des droits de l'homme. 


Deux justices égales

A côté de l'égalité des sexes, du droit à la maternité, du droit à vivre dans un environnement sain, et de droits sociaux, comme l'accès à l'eau potable, à des systèmes de santé et d'éducation gratuits, la nouvelle Constitution offre surtout une reconnaissance inédite des droits des trente-six nations indigènes originaires qui composent une (grande) partie du pays. Droit d'exister librement, droit à l'identité culturelle et religieuse, droit à leur propre vision du monde, droit aussi à leur libre détermination et à leur territoires. Et dans ce cadre, droit d'appliquer leurs justices traditionnelles (lire ci-contre), mises au même niveau hiérarchique que la justice ordinaire. 
Pour Eugenio Rojas, le maire de la petite ville d'Achacachi, bastion de la communauté aymara, près du lac Titicaca, c'est une reconnaissance logique: «La justice traditionnelle est plus morale, plus éthique et bien moins corrompue que la justice ordinaire, qui protège avant tout les riches. Le coupable doit réparer les conséquences de son acte, ce qui passe par exemple par les travaux d'intérêt général. La peine vise à une prise de conscience, à une réflexion de la part du coupable.» 
«Il y a des avancées dans ce texte avec la reconnaissance des droits des peuples indigènes, trop longtemps exclus», reconnaît volontiers l'analyste politique Carlos Cordero, placé à droite sur l'échiquier politique. «Et créer des droits spécifiques aux indigènes procède d'une bonne intention. Mais cela crée de nouvelles discriminations. On racialise la politique, on crée un fondamentalisme ethnique, on offre un traitement privilégié aux indigènes, par rapport aux populations métisses ou d'origines européenne, oubliés dans cette Constitution. Et on passe d'une nécessaire réparation historique à une regrettable revanche.» 


Pas assez socialiste

Si la droite rejette le nouveau texte constitutionnel, jugé trop «indigéniste», extrêmement «anti-libéral» et «démesurément étatiste au niveau économique», celui-ci ne fait pas non plus que des heureux à l'extrême gauche, signe peut-être qu'il a atteint malgré tout un niveau insoupçonné de consensus... 
Raul Jimenez, en tout cas, ne décolère pas. Doyen de la faculté de droit de l'Université San Andrés de La Paz, il dénonce une trahison: «Certes, la Constitution a été écrite par le peuple, mais elle est pleine de contradictions. Elle se prétend socialiste, mais elle reconnaît la propriété privée, c'est absurde!»

La nouvelle Bolivie est née

La nouvelle Bolivie est née

Paru le Mardi 27 Janvier 2009 
   BERNARD PERRIN, LA PAZ    

InternationalRÉFÉRENDUM - Selon les estimations, 60% des Boliviens ont adopté la nouvelle Constitution, prélude à une série de réformes fondamentales. 
«Nous vivons la fondation d'une nouvelle Bolivie égalitaire. C'est la fin de l'Etat colonial et c'est la déroute du néolibéralisme. C'est un nouveau triomphe!» Dimanche soir, en compagnie de milliers de partisans réunis devant le palais présidentiel de La Paz, Evo Morales a célébré une étape essentielle dans l'histoire du pays. Pour la première fois en cent quatre-vingt-quatre ans d'indépendance, le peuple bolivien a en effet voté par référendum sur une nouvelle constitution. Et la majorité des 3,8 millions de citoyens ont approuvé le nouveau texte fondamental du pays. Avec 60% de oui selon les premières estimations, le résultat n'atteint pas le score obtenu par le président lors du référendum révocatoire du 10 août dernier, à savoir 67,7%. 


Lente transition

Si cette baisse s'explique aisément par la complexité du vote sur un texte de 420 articles, ce vote illustre une fois encore l'impossible consensus bolivien: une large majorité du peuple appuie le processus de changement lancé depuis l'accession au pouvoir du premier président indien en décembre 2005, mais quatre des neuf départements, ceux de l'est du pays – Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando –, rejettent une constitution qui remet en cause leurs privilèges et qu'ils jugent trop «indigéniste». 
«C'est la fin d'un Etat qui nous a exclus pendant cent quatre-vingt-quatre ans. Depuis aujourd'hui, tous les Boliviens jouissent des mêmes droits»: dans le petit bureau de vote de l'école Juvenal Mariarca, dans la ville d'El Alto, qui surplombe la capitale La Paz, Jaime jubile. Anticipant la victoire du oui, il annonce «le triomphe de la révolution du peuple des pauvres». Mais plus que de révolution, il va falloir parler de lente transition. Pavé de bonnes intentions, le nouveau texte constitutionnel inscrit en effet dans le marbre de nombreuses transformations de la société qui ne se concrétiseront que lorsqu'elles auront trouvé réellement corps dans une loi. 


Travail titanesque

Les peuples indigènes, restés si longtemps en marge de la société, obtiennent de nouveaux droits après des décennies de luttes sociales. Reste à voir de quelle manière la réalité permettra de les mettre en pratique. L'économie communautaire, en voie de disparition dans un monde dont les moyens de production sont largement en mains privées, aura par exemple besoin d'un large soutien étatique. Cette forme d'économie représente pourtant une alternative au néolibéralisme, et replace «l'intérêt de la communauté» au premier plan. 
Pour Antonio Peredo, sénateur du Mouvement au socialisme (MAS), et ancien candidat à la vice-présidence au côté d'Evo Morales en 2002, le changement structurel le plus profond de la société bolivienne se situe d'ailleurs précisément là: «Cette constitution instaure de nouvelles règles du jeu. Elle enterre le système libéral hérité de la Révolution française. Jusqu'à aujourd'hui, le droit d'une personne s'arrêtait là où commençait le droit d'autrui. C'est fini, désormais le droit d'une personne s'arrête là où commence le droit de la communauté et le bien commun». 
Mais il faudra «au moins cinq ans, peut-être dix» pour implanter cette nouvelle constitution, un travail titanesque qui effraie même président Evo Morales, qui a récemment demandé le soutien de l'OEA, l'Organisation des Etats américains. Plus d'une centaine de nouvelles lois doivent en effet être rédigées. Mais il faudra aussi rendre compatibles à la nouvelle charte fondamentale les douze mille textes légaux actuellement en vigueur en Bolivie. 
Un des premiers défis majeurs sera celui d'adopter une nouvelle législation sur l'organe judiciaire. Avec notamment l'élection des juges par le peuple, le système entend rompre avec l'ancien régime miné par la corruption et le népotisme. «Mais pour le gouvernement d'Evo Morales, les plus grands défis, ce seront l'adoption de la loi anti-corruption, et de deux lois clé: la loi de réforme de l'éducation et la loi de santé universelle, qui offriront toutes deux un accès gratuit au peuple bolivien», explique le sénateur du MAS. Depuis plusieurs semaines, des groupes de travail, composés de membres du gouvernement et des mouvements sociaux, sont à pied d'oeuvre. L'objectif est de présenter dans les délais les plus courts une quinzaine de projets de loi, que le Congrès devrait adopter avant la fin de l'année et les élections générales – présidentielle et législative –, fixées au 6 décembre prochain par la nouvelle Constitution. 


«La droite ne s'avouera pas vaincue»

Un processus de «dialogue national» sera «indispensable», estiment la plupart des analystes politiques. Antonio Peredo n'a pas la même lecture des faits: «La droite ne va pas s'avouer battue, et il faut s'attendre à ce que la tension permanente et la confrontation politique, parfois hargneuse, continuent tout au long de l'année.» Les préfets de droite des départements de l'Est lui ont d'ores et déjà donné raison, en annonçant qu'ils rejetteront une constitution qui n'a pas obtenu le soutien de leurs concitoyens (malgré l'incorporation d'une large autonomie départementale), si leurs revendications ne trouvent pas un écho favorable auprès du gouvernement. 
La droite bolivienne, nationale ou départementale, va pourtant devoir se soumettre à un examen de conscience pour élaborer un programme politique crédible. Elle devra reconnaître les changements profonds de la société bolivienne, «le fait que le monde qu'elle tente de défendre n'existe plus», comme le note Antonio Peredo. D'anciens présidents (Carlos Mesa, Jaime Paz Zamora) ou le vice-président indigène Victor Hugo Cardenas ont réinvesti les médias et sont d'ores et déjà en campagne, en vue des élections du 6 décembre prochain, qui seront surtout cruciales pour la représentation des forces politiques au sein du Congrès. 
Actuellement, le MAS, le parti d'Evo Morales, possède la majorité à la chambre des députées, mais il est minoritaire à la chambre des sénateurs, base de tous les blocages législatifs depuis trois ans. La tactique de ces dinosaures de la politique bolivienne? Attaquer frontalement la gestion d'Evo Morales. Pas de quoi effrayer Antonio Peredo: «Cinq ans au moins, c'est le temps qu'il faudra à la droite bolivienne pour renaître, et pour construire un programme lui permettant réellement de représenter une opposition constructive au processus de changement d'Evo Morales». I

dimanche, janvier 11, 2009

Hugo Chavez veut faire supprimer les limites à sa réélection

Hugo Chavez veut faire supprimer les limites à sa réélection

Vincent Taillefumier Bogota

Le parlement approuve une modification de la Constitution pour permettre la réélection illimitée pour tous les mandats politiques

Dix ans de pouvoir n’ont pas lassé Hugo Chavez. Le président socialiste vénézuélien, actuellement empêché par la Constitution de briguer un troisième mandat en 2012, a obtenu l’adoption par le parlement d’un projet de référendum qui lèverait toute limite à sa réélection. Mercredi soir, l’écrasante majorité des 167 députés a approuvé à main levée le texte de la réforme, balayant les protestations isolées des huit seuls élus opposants.

Dans les rues, des étudiants d’universités privées ont sorti des banderoles pour rejeter la décision: «Respecte la volonté du peuple, non c’est non!» En décembre 2007, les électeurs avaient en effet refusé par une courte majorité un paquet d’articles prévoyant, déjà, cette réélection illimitée. Ils devront cette fois-ci se prononcer sur ce seul point, dans un délai de trente jours.

Le chef de l’Etat veut faire vite. L’autorité électorale, dominée par ses partisans, a déjà assuré qu’elle soumettrait le texte à une simple «révision méthodologique», et qu’elle se passerait de la traditionnelle actualisation des listes électorales. Même s’il jouit toujours d’une image favorable dans l’opinion, Hugo Chavez perd du terrain peu à peu. Il a vu en novembre dernier l’opposition remporter les régions les plus peuplées et industrialisées lors d’élections locales, et lui rafler la capitale, Caracas.

La corruption et l’insécurité, qui a fait de cette ville la deuxième plus dangereuse du continent, sont devenues, selon plusieurs enquêtes, la principale préoccupation des Vénézuéliens. Les députés «parlent des caprices présidentiels mais pas des morts qu’il y a toutes les semaines à Caracas», s’emportait mercredi Rafael Bello, un dirigeant étudiant opposant.

Loin des facultés privées, le président peut compter sur la popularité des «missions», ses plans sociaux qui apportent santé, éducation, nourriture et formation aux classes populaires. En près de sept heures d’intervention retransmise sur toutes les chaînes, il en a vanté mardi les effets: une proportion de la population vivant sous le seuil de pauvreté ramenée de 48,7 à 31% en dix ans, l’indice d’inégalité le plus bas du sous-continent… Dans cette marche vers le «socialisme du XXIe siècle», «il serait dangereux de changer le capitaine au milieu du voyage», a-t-il conclu.



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