Un préfet accusé de massacre arrêté par l'armée
Paru le Mercredi 17 Septembre 2008
Le pont de Cachuelita, à sept kilomètres du petit village de Porvenir. Un endroit perdu quelque part dans le nord du pays, qui risque pourtant de rester dans l'histoire comme le lieu d'un des pires massacres de paysans de la Bolivie démocratique. Le bilan n'est que provisoire, de nombreux corps joncheraient encore les collines avoisinantes ou auraient été emportés par la rivière. Le ministre de l'Intérieur Alfonso Rada annonce «au moins trente morts». Pour l'heure quatorze corps ont été formellement identifiés, mais plus de cent personnes sont portées disparues et on dénombre 36 blessés graves par balles. Funeste jeudi 11 septembre! Un millier de paysans partisans du président Evo Morales se rendent à la ville de Cobija pour protester contre la violence qui ravage les départements autonomistes de l'est de la Bolivie. Ils tombent dans une embuscade. Léopoldo Fernandez, le préfet du département de Pando, parlera «d'un combat initié par les paysans eux-mêmes» et d'une «fusillade provoquée par l'incendie d'une camionnette de paysans remplie de balles».
Les témoignages démontent apparemment complètement cette version des faits. Sur diverses radios, et dans certains médias écrits, les récits sont accablants. Un des rescapés, Roberto Tito, explique encore sous le choc: «Nous marchions, sans armes, il y avait des femmes et des enfants avec nous. Nous avons entendu des tirs et tout de suite certains d'entre nous sont tombés. Il y avait des francs-tireurs postés dans des arbres près du pont.»
«Un génocide»
Le massacre commence. Des paysans sautent dans la rivière, pendant que les mercenaires déchargent leurs mitrailleuses. D'autres fuient par les collines ou dans la forêt, où, selon d'autres témoignages, des membres du Comité civique de Cobija les pourchassent en moto ou dans des véhicules de la préfecture. «Ils nous ont poursuivis et mitraillés comme des chiens, comme des animaux, raconte Cristian Dominguez. Tout cela avait été parfaitement planifié.»
«Ils ont attrapé une femme par les cheveux, elle les suppliait de ne pas la tuer, ils ont mis un revolver sur sa tête et tiré. Son fils de 5 ans hurlait à côté d'elle, ils l'ont abattu. Ce fut un génocide», témoigne pour sa part Rodrigo Medina Alipaz.
Le vice-président Alvaro Garcia Linera a annoncé dès dimanche soir que Léopoldo Fernandez avait «financé des groupes de narco-trafiquants pour massacrer des paysans boliviens sans défense». Le procureur général de la République a ouvert une procédure pénale à son encontre, pour le crime présumé de génocide, dont la sanction pourrait osciller entre vingt et trente ans de prison. Une commission d'enquête a été envoyée dans le département de Pando, alors que le préfet aurait été transféré à La Paz pour y être incarcéré.
Allié des grands propriétaires
Ce dernier, qui nie toute implication dans le massacre, «une pure machination gouvernementale» selon lui, fut notamment fonctionnaire publique sous la dictature de Luis Garcia Meza (1980-1981), et parlementaire, préfet et ministre sous le gouvernement de l'ancien dictateur Hugo Banzer et de Tuto Quiroga (de 1997 à 2002).
Actuellement, Léopoldo Fernandez est actif dans le commerce de la châtaigne et dans l'élevage. Il est très lié aux grands propriétaires terriens de son département, qui accaparent des centaines de milliers d'hectares et qui s'opposent farouchement à la réforme agraire du président Evo Morales. Certains sont accusés d'utiliser une main-d'oeuvre indigène réduite à l'esclavage.
Ce massacre du 11 septembre a été le point culminant de trois semaines de violences dans la région de la media luna (les départements «riches» de l'est de la Bolivie, Pando, Beni, Santa Cruz et Tarija), où la droite conservatrice s'oppose à tout prix aux réformes du gouvernement d'Evo Morales.
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