La Bolivie vers la sortie de crise
Paru le Mardi 16 Septembre 2008ANALYSE - Les gouverneurs rebelles savent très bien qu'une sécession n'est pas envisageable. Ils se sont assis à la table du gouvernement.
Malgré la trêve, toute relative, et la reprise du dialogue entre le gouvernement d'Evo Morales et les préfets de la media luna (les départements «autonomistes» et riches en hydrocarbures de l'est du pays, opposés au gouvernement: Santa Cruz, Tarija, Beni et Pando), la Bolivie est-elle au bord de la guerre civile et de la partition? Après une semaine de violences, le massacre jeudi d'une trentaine de paysans sympathisants du président par des groupes para-militaires près de la ville de Cobija, et l'instauration de l'état de siège dans le département de Pando, la tension est en tout cas extrême.
Pourtant, analystes et politiciens se refusent au scénario du pire. «Les deux parties ont été inflexibles jusque-là, mais il y a enfin une opportunité de dialogue et on peut entrevoir une sortie de crise», estime ainsi le politologue Carlos Cordero.
Un moyen de pression
«La violence actuelle, organisée par les autorités départementales, est une stratégie visant à obliger le gouvernement d'Evo Morales à trouver un accord politique, rien de plus. Les préfets le savent très bien, l'indépendance des départements n'est pas concevable: aucun pays d'Amérique du sud ne soutiendrait une telle aventure. Et économiquement, l'est du pays n'y survivrait pas», soutient pour sa part son homologue Jorge Komadina.
Au sein du gouvernement central, la violence de la media luna est perçue comme «une fuite en avant» désespérée, après la déroute électorale du 10 août dernier, qui a vu le processus de changement du président Evo Morales soutenu par plus de 67% du peuple bolivien. Et l'appui sans faille des pays du continent, Argentine, Brésil et Venezuela en tête, conforte le président bolivien face à une fronde autonomiste dont le visage violent ne semble désormais être soutenu que par les médias de communication, aux mains de la droite.
De plus en plus isolés
Même au sein de la classe moyenne de Santa Cruz, largement séduite par les thèses autonomistes, les discours enflammés du préfet Ruben Costas commencent à inquiéter. Pour Juan et son épouse Julia, «l'autonomie ne peut pas se construire au prix de la violence aveugle et du sang».
Cette même classe moyenne est aussi asphyxiée, comme tout le reste de la population, par le blocus imposé dans les départements de la media luna par les préfets eux-mêmes et les comités civiques qui les soutiennent. L'ensemble de l'économie de l'est du pays est durement affectée, l'essence se fait de plus en plus rare et les files aux stations services durent parfois plusieurs heures. Cette vaste offensive, qui vise à obliger le gouvernement à renoncer au vote sur la nouvelle constitution et à revoir la répartition de l'impôt direct sur les hydrocarbures, pourrait au final se transformer en autogoal.
Une conspiration US?
Mais Gustavo Torrico reste pourtant très inquiet. Avec trois de ses collègues, le député du MAS (Mouvement au socialisme, le parti d'Evo Morales) a publié dans la presse les «preuves» de la conspiration qui a mené à ce véritable «coup d'Etat des préfets» de la media luna. Une conspiration soutenue voire dirigée par les Etats-Unis. L'homme central de ce complot visant à la chute d'Evo Morales au travers de la violence et de la déstabilisation de l'Etat? L'ambassadeur américain Philip Goldberg, présent en Bosnie de 1994 à 1996 et au Kosovo entre 2004 et 2006, considéré en Bolivie comme «un spécialiste du séparatisme».
Les faits sont troublants. Depuis plusieurs mois, les rencontres en l'ambassadeur et les préfets coïncident à chaque fois avec de nouvelles offensives de la droite. Les instructions de l'insurrection viennent-elles directement de Washington? Le dossier a été en tout cas jugé suffisamment «chargé» pour que le président bolivien expulse le diplomate américain, jugé persona non grata depuis mercredi dernier.
«La structure colonialiste et le système néolibéral ont concentré les richesses, et une oligarchie a très longtemps accaparé le pouvoir. L'assemblée constituante a été un des éléments décolonisateurs, elle a permis l'émancipation des communautés indigènes et du peuple», explique Carla Espósito, de l'Observatoire du racisme de l'Université Cordillera.
La fin des privilèges
L'enjeu réel est bien là. C'est celui d'une plus juste répartition des richesses du pays, notamment de la terre, et de la reconnaissance des populations indigènes, prévue par le nouveau texte suprême qui devrait être soumis aux Boliviens le 25 janvier prochain. Tout un symbole: selon le gouvernement, l'entrepreneur Branko Marinkovic «roi du soja» et dirigeant du Comité civique qui lutte pour l'autonomie se serait approprié illégalement 27 000 hectares de terres appartenant au peuple indigène Guarayos.
Un procès est en cours. Mais pour tous les grands propriétaires terriens, ulcérés par la victoire dans les urnes d'Evo Morales le 10 août, le combat est désormais passé sur un autre terrain, celui de la violence et de l'illégalité. Mission: déstabiliser le gouvernement d'Evo Morales et enterrer son projet de nouvelle constitution. A tout prix, fût-il celui du sang
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