
En Bolivie, «mitraillés comme des animaux»
Après trois semaines de violences entre partisans du président Evo Morales et autonomistes de la media luna (les quatre départements de l'est du pays, Santa Cruz, Pando, Beni et Tarija, qui forment un croissant de lune), la Bolivie respire avec l'ouverture d'un dialogue. Une réunion entre représentants du gouvernement et de l'opposition, dans la nuit de dimanche à lundi, a permis de rapprocher les deux camps avec l'espoir d'un accord qui mette fin aux troubles.
Evo Morales devait regagner lundi La Paz après avoir participé au Chili à une réunion extraordinaire de l'Union des nations sud-américaines où il espérait récolter un soutien unanime de la part de ses homologues continentaux, après les appuis enregistrés auprès du Brésil, de l'Argentine, de l'Equateur et du Venezuela. Le président, en position de force depuis son triomphe lors du référendum révocatoire du 10 août (67,4% de soutien), livre un bras de fer aux provinces autonomistes contrôlées par la droite - qui détiennent les principales richesses naturelles. Ces provinces rebelles rejettent un projet de Constitution et de réforme agraire qu'Evo Morales, premier Amérindien à la tête de l'Etat, veut faire voter par référendum.
Après une semaine d'émeutes, Santa Cruz panse ses plaies. Les principales institutions du gouvernement ont été prises par la force par les membres de la Union juvenil cruceñista (UJC), un groupe paramilitaire, bras armé du Comité civique (une organisation «apolitique» qui soutient le processus autonomiste). Plusieurs bâtiments officiels et celui de l'entreprise de téléphonie Entel ont été attaqués à coups de marteaux, de battes de baseball et de pétards. On compte des dizaines de blessés.
«Race maudite»
Ces violences ont été minutieusement préparées et les institutions ont été remises au préfet du département, Ruben Costas, garant de l'autonomie de Santa Cruz et gouverneur autoproclamé. Mais cette offensive a dérapé avec l'attaque des bureaux de différentes ONG et du Cidob, la Confédération des peuples indigènes. «Nous ne voulons pas de cette race maudite dans notre ville», a publiquement justifié un des dirigeants de l'UJC.
L'attaque jeudi soir du quartier de Plan 3000, un ghetto en marge de cette ville de 250000 habitants, composé principalement de migrants indiens des hauts plateaux favorables à la politique d'Evo Morales, a répondu à la même logique. Face à quelque 800 autonomistes, les habitants du quartier ont résisté toute la nuit sur les barricades et dans les rues. «C'est un combat pour la vie ou la mort, explique Hugo Cayo Rocha, le président du Mouvement au socialisme (MAS parti de Morales). C'est quitte ou double: la victoire de la droite autonomiste et fasciste ou celle d'un peuple uni qui réclame une vraie justice sociale.»
Cette nuit-là, le MAS a relevé une cinquantaine de blessés, «dont six par balles», précise Hugo Cayo Rocha. Dans le département de Pando, (nord), le bilan provisoire fait état de 30 morts et le nombre de disparus dépasse la centaine. Plusieurs jours après le massacre, des corps joncheraient encore les collines. Les témoignages accablants se multiplient. Les paysans qui se rendaient à la ville de Cobija pour manifester leur soutien au président Morales seraient tombés dans une embuscade tendue par des mercenaires. «On nous a mitraillés comme des animaux. Il y avait des femmes, des enfants. On a tenté de fuir, ils nous ont poursuivis à moto», témoigne Roberto Tito, un des rescapés.
Le gouvernement a mis en cause le préfet du département, Leopoldo Fernandez, accusé d'avoir financé des groupes de narco-trafiquants pour perpétrer ce massacre. Le vice-président Alvaro Garcia Linera a demandé son arrestation.
Blocus routiers levés
Dans ce contexte extrêmement tendu, la droite extrémiste a décidé de faire profil bas. Les blocus routiers ont été levés «en signe de bonne volonté», a annoncé le président du Comité civique de Santa Cruz, Branko Marinkovic. Ce blocus en forme de défi aux autorités, instauré deux semaines plus tôt, s'est révélé catastrophique. Le gouvernement n'ayant pas cédé à la pression, la ville et l'économie locale ont été peu à peu asphyxiées, faute de combustible.
Les problèmes de fond ne sont pas résolus et font craindre une reprise des violences. «La structure colonialiste et le système néolibéral ont concentré les richesses, et une oligarchie a très longtemps accaparé le pouvoir, explique Carla Espósito, de l'Observatoire du racisme de l'Université Cordillera. La nouvelle Constitution est un des éléments décolonisateurs qui doit permettre l'émancipation des communautés indigènes.»
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