ECONOMIE & FINANCE Samedi22 novembre 2008
L'essence «verte» ou le grand test géopolitique des critères durables
PAR PIERRE VEYA
Analyse.
La conférence de São Paulo sur les biocarburants, organisée à l'instigation du président Lula, est intéressante à plus d'un titre. Elle intervient au terme d'une très longue bataille entre «pro» et «anti» biocarburants, comme si les problèmes d'énergie pouvaient se résumer à un choix entre le bien et le mal. Mais cette conférence marque peut-être un tournant et sert les intérêts d'un Brésil fâché par les propos accusateurs des pays occidentaux. Et surtout, elle met en évidence les enjeux économiques et environnementaux de la bioénergie, devenue la scène d'un immense théâtre de négociations entre le Nord et le Sud sur l'usage des ressources vertes.
Les évidences. Tout le monde ou presque reconnaît que produire de l'énergie à partir de plantes nobles vouées à l'agriculture n'est pas une bonne solution. Un changement de cap se dessine, y compris aux Etats-Unis, premier producteur mondial de bioéthanol (pour l'essentiel à partir de maïs). Si le nouveau président Barack Obama est un farouche défenseur des planteurs de maïs du Midwest, on s'attend à ce que les subventions soient progressivement redirigées vers les technologies de seconde génération qui utilisent les déchets comme matière première ou des plantes spécifiques dédiées à l'énergie comme le switchgrass, l'équivalent du roseau de Chine européen. En revanche, tout montre quel le Brésil continuera d'exploiter la canne à sucre dont le bilan énergétique et environnemental est favorable. L'Afrique et une partie de l'Asie s'engagent dans une voie comparable et cherchent à valoriser d'énormes surfaces qui se prêteraient bien au développement de la bioénergie, d'autant que ces régions redoutent la prochaine flambée des prix des énergies fossiles.
Les risques. Le conflit «nourriture contre énergie» n'est pas prêt de s'apaiser. L'explosion des prix agricoles a été attribuée aux agrocarburants. Des études sérieuses menées depuis permettent de fortement nuancer ce verdict. L'influence des biocarburants sur le niveau des prix a été en réalité bien inférieure à celle du prix du pétrole, des intrants et aux changements de comportements alimentaires des populations en Asie. Le Brésil a donc raison lorsqu'il déclare que les biocarburants ne sont pas responsables des pénuries alimentaires! Et contrairement aux clichés véhiculés dans les médias, si les Américains ont bien utilisé plus du tiers de leur maïs pour produire de l'essence verte, leurs exportations de denrées alimentaires se sont accrues d'autant. A São Paulo, la FAO s'est d'ailleurs montrée rassurante, en affirmant «qu'il y aura suffisamment d'espace sur la terre pour la production de biocarburants, si l'on tient compte de l'addition de 5% de biodiesel et de 10% d'éthanol dans les combustibles dérivés du pétrole en moyenne dans le monde». Au-delà de ces objectifs, le monde doit envisager une production découplée des terres arables. Concrètement, les experts sont unanimes pour plaider l'adoption de critères durables qui réservent les meilleures terres agricoles à l'alimentation et protègent les forêts tropicales des cultures intensives.
A São Paulo, la Suisse a défendu son ordonnance exigeant une certification sur l'origine des biocarburants; l'Europe vient d'adopter une directive qui devrait bannir les mauvaises pratiques. Dans plusieurs revues scientifiques, les chercheurs américains plaident pour que les critères durables soient également étendus aux biocarburants de seconde et troisième générations (cellulosiques, algues, etc.). Ils anticipent, à raison, une plus grande intensification des sols et une pression accrue sur les massifs forestiers. Si le monde n'a pas été capable de gérer les ressources fossiles, il est souhaitable qu'il maîtrise mieux le potentiel de la biomasse. L'adoption de labels et certificats d'origine qui, concilie développement et écologie, mettra à coup sûr à rude épreuve les accords de libre-échange négociés devant l'OMC. Les pays en développement, et en particulier le Brésil, la future première puissance agricole du monde, craignent que ces critères durables ne soient qu'un prétexte à de nouvelles mesures protectionnistes. D'ailleurs, à São Paulo, le commissaire à l'Energie européen, Andris Piebalgs, s'est empressé de préciser que la nouvelle directive de Bruxelles sur les sources renouvelables d'énergie ne visait pas les importations d'éthanol brésilien. Le Brésil semble en douter. Il faut s'attendre à ce qu'il monnaie sa future participation à «Kyoto II» selon le sort qu'on réservera à sa production d'essence verte.
Les espoirs. Le flot de subsides versés par les Etats-Unis et l'Europe dans la filière des biocarburants aura eu un mérite. La recherche sur les biocarburants de seconde et troisième génération avance à grands pas et les premières usines sont opérationnelles. La crise financière risque toutefois de porter un coup sévère aux investissements dans les grandes infrastructures. Ici aussi, le «Yes, we can» de Barack Obama sera décisif. Car les filières de la bioénergie pourraient bien vivre un hiver comparable à celui que traversa l'énergie solaire au début des années 80.
© 2009 LE TEMPS SA
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