
A la recherche des tropiques perdus
Essai. René Fuerst. Indiens d'Amazonie. Réminiscences d'un passé lointain. Editions 5 Continents, 136 p.
Ils bandent leur arc en direction de l'avion militaire qui survole leur village. Petites silhouettes noires et tremblées, ils sont l'incarnation même du refus. C'est cette image qui a donné à un petit Suisse le désir de rencontrer ces hommes. En 1946, René Fuerst avait 13 ans quand il a vu dans un illustré les premiers reportages sur les Xavante, un groupe indien du Haut-Xingu jusque-là réfractaire à tout contact. Un autre article relatait les tentatives des frères Villas Bôas pour approcher leurs voisins, les Kalapalo. La liberté menacée, l'insoumission, il y avait de quoi fasciner un garçon nourri de récits d'aventures. Ce rêve a déterminé toute sa vie.
En 1955, après un voyage initiatique au Sahara, le jeune homme s'envole de Rio pour Goiâna, pas très loin de l'actuelle Brasilia. Avec lui, un autre novice, l'ethnologue Gerhard Baer qui deviendra par la suite directeur du Musée d'ethnographie de Bâle. Ils sont chargés de réaliser un film et de constituer une collection d'objets usuels des Indiens du Haut-Xingu. 1955, c'est l'année où paraît Tristes Tropiques. «Campeurs, campez au Parana. Ou plutôt non, abstenez-vous», aurait pu y lire l'apprenti explorateur. Il n'aurait pas écouté ce conseil, l'Amazonie l'avait pris dans ses charmes. Il avait 22 ans, l'âge de l'explorateur Jean de Léry quand il affronta ses premiers Indiens, quatre siècles auparavant. Les vingt années suivantes, René Fuerst les consacra à parcourir le centre du Brésil, rapportant films, photographies et d'impeccables collections d'objets.
En 1975, il est déclaré interdit de séjour par la dictature militaire, suite à ses critiques de la politique indigéniste. Il devient alors conservateur au Musée d'ethnographie de Genève, chargé des collections océaniennes. Mais il gardera toujours l'Amazonie au cœur, militant au sein d'associations de défense des peuples indigènes. Aujourd'hui à la retraite, il distille ses archives en beaux livres: en 2006, paraît Xikrin. Hommes-oiseaux d'Amazonie, sur la plumasserie et les peintures corporelles d'un groupe particulièrement artiste. Indiens d'Amazonie, avec ses magnifiques photographies en noir et blanc, témoigne de sociétés aux techniques archaïques. Pêcheurs, cueilleurs, ces Indiens vivaient dans ce que l'anthropologue Marshall Sahlins appelle «âge de pierre, âge d'abondance»: un stade où les besoins élémentaires sont satisfaits sans trop de travail, laissant un large temps à la sociabilité.
C'est de cet équilibre que témoignent les images de René Fuerst. Un mode de vie qui demande de vastes espaces. Cernés par l'avancée des grands travaux forestiers, des entreprises agricoles, les Indiens n'ont cessé de voir se réduire leur territoire quand ils n'étaient pas simplement massacrés par des hommes de main. Mais aujourd'hui, constate René Fuerst, grâce à une politique gouvernementale désormais cohérente, les Indiens du Haut-Xingu s'en tirent «plutôt mieux que les autres»: dans leurs réserves, le nombre d'individus va croissant, alors qu'ils étaient au bord de l'extinction. Ils sont conscients de leurs droits, prêts à les défendre. Mais leur mode de vie a changé et les images des années 1950 témoignent d'un paradis perdu.