Evo Morales joue son va-tout dans les urnes: la Constitution
Paru le Samedi 30 Août 2008BOLIVIE - Le 7 décembre, les Boliviens voteront sur le texte issu de la Constituante. Pour le vice-président du parti au pouvoir, c'est au peuple d'arbitrer le conflit avec les préfets.
Le serpent de mer de la «refondation» constitutionnelle a ressurgi jeudi soir en Bolivie. Dans un Palais Quemado empli de délégations indigènes et syndicales, le président Evo Morales a décrété la tenue, le 7 décembre prochain, d'un référendum sur le texte difficilement issu, l'an dernier, de l'Assemblée constituante (AC). Sentant venir le décret, les préfets autonomistes avaient prévenu la veille de leur intention d'empêcher la tenue d'un tel scrutin. Depuis sa confirmation par les urnes le 10 août dernier, Evo Morales était pris en tenaille entre les demandes des organisations sociales, pressées de traduire les résultats du référendum révocatoire en termes constitutionnels, et les appels au dialogue avec les préfets autonomistes ayant aussi échappé au couperet populaire. La radicalisation de l'opposition – qui a répondu à l'invitation au dialogue par un appel à la grève et aux blocages de routes – a fini par convaincre le président de prendre la «voie rapide». S'appuyant sur des législations antérieures, le président a renoncé à convoquer le Législatif pour fixer le référendum au 7 décembre. Une façon de contourner le Sénat où la droite est majoritaire.
Jugeant la mesure «illégale», les préfets de Santa Cruz, Chuquisaca, Beni, Pando et Tarija ont accusé le gouvernement d'exercer une «dictature syndicale». Rejetant ce texte «indigéniste» et «socialiste», ils tenteront d'empêcher les urnes de parler.
L'annonce de la convocation a suivi de quelques heures la publication des résultats définitifs des référendums du 10 août qui donnent un appui de 67,4% au président. Pour le pouvoir, le fait qu'Evo Morales ait remporté une majorité dans 84,4% des districts boliviens dément le cliché séparatiste d'un pays divisé géographiquement.
Conquérir la base, pas les élites
Simultanément au référendum constitutionnel seront organisées les élections des préfets de La Paz et Cochabamba, révoqués le 10 août. Les neuf départements seront eux dotés de sous-préfets et de conseillers régionaux. Une élection directe inédite, présentée comme une nouvelle étape vers la décentralisation du pouvoir.
«Ce sera la 'mère de toute les batailles', mais nous souhaitons qu'elle se déroule démocratiquement et pacifiquement», a souligné le ministre de la Présidence, Juan Ramón Quintana.
Dans les rangs du Mouvement vers le socialisme (MAS), le vote du 10 août a conforté l'idée que le suffrage universel constitue le meilleur atout pour «vaincre la résistance des milieux conservateurs et poursuivre les réformes» économiques, ainsi que la politique de redistribution des terres et des revenus nationaux, explique Gerardo García, vice-président du parti au pouvoir. Car derrière le discours autonomiste des préfets, ce «Quéchua d'origine» émigré depuis 27 ans à Santa Cruz identifie surtout une lutte acharnée pour le pouvoir et pour la terre. Plutôt qu'un pacte avec les élites, le dirigeant de la Confédération syndicale de colonisateurs de Bolivie, l'une des organisations fondatrices du MAS, prône la conquête de la base...
Le président Evo Morales a convoqué jeudi un référendum pour le 7 décembre, soumettant au peuple le projet de nouvelle Constitution? N'est-ce pas le signe d'un raidissement du gouvernement?
Non. Pour le mouvement populaire, ce texte qui a été élaboré durant de longs mois à l'Assemblée constituante n'était pas négociable. Le gouvernement ne pouvait s'asseoir sur le travail des constituants élus par la population. C'est au peuple et à lui seul de décider si ce projet convient ou s'il faut convoquer une autre Constituante. Mais je suis sûr que ce ne sera pas nécessaire.
Le gouvernement semble conforté par les résultats des référendums révocatoires. D'autres observateurs ont parlé, de leur côté, de match nul, estimant que le pays demeurait divisé entre autonomistes et partisans du président.
Notre victoire a été très claire. Les menaces et les intimidations dont souffrent nos frères indigènes ont permis aux préfets de la dénommée «media-luna» de se maintenir. Mais les pourcentages qu'ils réalisent sont beaucoup plus bas qu'ils ne l'espéraient. Le MAS fait désormais jeu égal avec l'opposition dans les départements de Tarija et Pando. Et à Beni et Santa Cruz, le président réalise plus de 40%. Ces scores sont importants, car ils montrent que nous ne sommes plus très loin de renverser le rapport de forces. Si la droite ne parvient pas à s'allier lors de la prochaine élection de 2010, nous pouvons gagner la préfecture de Santa Cruz! La défaite de l'opposition se lit aussi dans les résultats de Cochabamba et Chuquisaca, deux départements (charnière entre l'est et l'ouest, ndlr) que les oligarchies essayaient de manipuler contre le gouvernement. Eh bien! le préfet de Cochabamba a été révoqué et notre président est arrivé nettement en tête à Chuquisaca. De même qu'est tombé le préfet de La Paz, qui s'était prêté aux manoeuvres de l'opposition.
Si le vote du 10 août a fragilisé la position de certains préfets autonomistes, le gouvernement n'avait-il pas dès lors intérêt à privilégier la négociation pour casser le front de l'opposition?
Le président les a effectivement invités à dialoguer. Mais cela n'a rien donné. De toute façon, nous ne pouvions pas non plus céder à leur demande sur l'IDH (impôt direct sur les hydrocarbures qui finance notamment les retraites, lire ci-contre) qui est une conquête des mouvements populaires. Ceux qui aujourd'hui réclament ces fonds étaient opposés à la création de cet impôt! Ceux qui hier nous réprimaient dans le sang quand nous réclamions la récupération de nos ressources naturelles ne peuvent en tirer soudainement tout le profit!
Outre l'adoption de la Constitution, l'objectif stratégique consiste donc à gagner les préfectorales de 2010?
Oui, car d'ici là notre politique aura encore apporté de nouveaux fruits. Et davantage de personnes, qui aujourd'hui n'ont aucun document d'identité, auront été enregistrées et pourront voter1.
Evo Morales progresse à l'est du pays, mais une partie de son électorat soutient aussi un préfet de l'opposition autonomiste. Comment l'expliquez-vous et comment, selon vous, le gouvernement peut-il intégrer pleinement ces citoyens à son projet de transformation sociale?
Nous devons les convaincre par notre action. Par le passé, les zones où le parti majoritaire était mal implanté ne recevaient rien de l'Etat. Notre président lui agit différemment. Il accorde une attention particulière aux régions qui montrent du scepticisme par rapport à notre projet. Si nous avons autant progressé là-bas, c'est que nous y avons réalisé plus de choses qu'ailleurs.
Ne peut-on aussi lire dans ce hiatus la coexistence d'une sympathie envers les politiques socio-économiques du MAS et d'un désir de décentralisation?
Nous défendons le développement des autonomies: les indigènes furent les premiers à les réclamer. Ce que nous refusons, c'est de reproduire le modèle centraliste au niveau des départements. La nouvelle Constitution prévoit justement des autonomies à divers niveaux: peuples indigènes, régions, municipalités, etc. L'autonomie doit arriver à chacun, c'est pourquoi il faut adopter la Constitution. I
Note : 1 Le programme «J'existe, la Bolivie existe» offre la gratuité des documents d'identité. Il a permis de donner une existence légale à 400 000 personnes, dont 2/3 de mineurs. La plupart des sans-papiers internes sont des ruraux.