mardi, mars 03, 2009

La Bolivie socialiste veut décoller grâce à «l’or gris» du lithium

PAR VINCENT TAILLEFUMIER, BOGOTA
Le pays possède au moins le tiers des réserves mondiales du minerai, appelé à faire tourner les véhicules électriques
Quinze mille kilomètres carrés d’une superficie aveuglante, sillonés de loin en loin par les tout-terrain des touristes, font rêver le gouvernement bolivien. Ses mers fossiles pourraient faire du pays le plus pauvre d’Amérique du Sud «l’Arabie saoudite du lithium», selon le chercheur Jerome Clayton Glenn, directeur du projet Millenium de l’ONU.

Les lacs de sel renferment en effet entre un tiers et la moitié des réserves mondiales du minerai nécessaire à l’élaboration des batteries d’ion-lithium. Cette technologie, plus légère et durable que celles qui l’ont précédée, a été choisie par plusieurs constructeurs (Chevrolet, Nissan, BMW…) pour développer leurs automobiles électriques.

Signe des besoins, les cours ont octuplé depuis 2003. Peu importent les incertitudes sur l’étendue des réserves disponibles en Bolivie – entre 300 000 et 140 millions de tonnes… – tout le monde veut sa part de lithium. Le français Bolloré a profité du passage du président Evo Morales à Paris pour lui faire conduire sa Blue Car, pour essayer de prendre de court les alliés japonais de PSA, Mitsubishi et Sumitomo, et le sud-coréen LG, également alléchés.

Mais tous devront passer sous les fourches caudines de la nouvelle Constitution «socialiste». Approuvée le mois dernier, elle assure à l’Etat le «contrôle des ressources stratégiques», couronnant une vague de semi-nationalisations entreprises depuis deux ans par Morales. Ses électeurs jugent que leur pays a subi le pillage de ses ressources naturelles, de l’argent de Potosí au gaz naturel en passant par l’étain, sans jamais en retirer de développement structurel. «Il n’est plus possible que nous ne produisions pas même une aiguille», affirme le directeur général des Mines du pays, Freddy Beltrán.

Six millions de dollars d’investissements solidaires

Bolloré a ainsi été invité à présenter une «proposition sur la recherche, la production et la transformation de lithium et même la construction de véhicules dans notre pays», selon le pouvoir. L’Etat fait valoir aux étrangers son investissement solitaire de presque 6 millions de dollars pour construire une usine pilote d’extraction du lithium et d’autres minerais, qui doit entrer en fonctionnement en 2010. Tout investisseur devra se joindre à une coentreprise dominée par l’entité publique minière Comibol. Encore lui faudra-t-il vaincre la résistance des Indiens de la région, à qui la Constitution donne aussi un droit de regard. «Nous ne voulons pas de compagnies étrangères ici», illustre un mineur artisanal, Alfredo, interviewé par la BBC.

Les industriels compareront certainement les délais et le coût de cette collaboration avec ceux de la recherche d’une technologie sans lithium. L’entreprise Lithium Corporation, qui avait entamé dans les années 1990 des négociations avec La Paz, avait finalement migré vers un gisement de l’Argentine voisine. Mais les temps et les gouvernements ont changé, et le ministre des Mines bolivien, Luis Alberto Echazu, se sent aujourd’hui en position de force: «Les leaders capitalistes, assume-t-il, doivent changer.»

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