samedi, octobre 25, 2008

Un Indien en Bolivie

Un Indien en Bolivie

Paru le Samedi 25 Octobre 2008 
   Simon Petite    

SolidaritééCHANGE • La Bolivie: un exemple pour l’Inde et ses centaines de millions de paysans? Un activiste indien est parti à la découverte du pays d’Evo Morales. Rencontre.
«Les paysans indiens, plus forts que Tata», titrait récemment le journal Le Monde. Début octobre, le constructeur automobile indien a dû renoncer à implanter une mégausine destinée à produire la Nano – la voiture présentée comme la moins chère du monde – au Bengale occidental. Des milliers de paysans manifestaient depuis un mois pour qu'on leur restitue leurs terres. Ce n'est que le dernier exemple des batailles homériques livrées sur le sous-continent contre des multinationales. En matière d'altermondialisme, les paysans indiens n'ont pas de leçons à recevoir. Ils viennent pourtant d'envoyer un observateur en Bolivie. Après un passage en Suisse, Veerabhadrappa Bislalli, journaliste et activiste de l'Association des paysans de l'Etat du Karnataka (KRRS), a pris l'avion mardi pour un séjour de trois mois. Facilitée par l'organisation paysanne Via Campesina et l'Action mondiale des peuples (AMP), cette initiative a pour but de renforcer les échanges entre militants du Sud. 


Faut-il prendre le pouvoir?

Les liens entre activistes boliviens et indiens ne sont pas nouveaux. Ils datent de la création de l'AMP en 1998. Dans un premier temps, les Latino-Américains se sont inspirés des méthodes d'action directe héritées de Gandhi. Paysans indiens et boliviens partageaient alors la même méfiance pour la politique institutionnelle. En décembre 2005, Evo Morales, porté par les mouvements sociaux, a été élu à la tête de la Bolivie et il entreprend depuis de changer radicalement les fondements du pays. L'exemple bolivien interroge les milieux altermondialistes sur leur relation avec le pouvoir. 
Veerabhadrappa Bislalli est curieux de voir à l'oeuvre le «gouvernement des mouvements sociaux» d'Evo Morales. Si puissantes soient-elles, les organisations de masse indiennes sont très peu représentées au niveau politique. Veerabhadrappa Bislalli se montre très sceptique à l'idée de briguer des mandats électifs. A moins que les mouvements sociaux prennent le pouvoir, comme ils l'ont fait en Bolivie. 
Pour l'instant, le KRRS préfère de loin les actions de terrain. Avec un certain succès. Né dans les années 1980, le mouvement revendique 1600 membres actifs et un nombre incalculable de sympathisants. «Nous n'avons pas de registre et, pour faire partie du KRRS, il n'y a pas besoin de demander sa carte», précise Veerabhadrappa Bislalli. 


Monsanto en échec

Une des premières actions à laquelle il a participé était l'occupation du siège de Monsanto à Bangalore en 1998. «J'étais alors étudiant et nous avions occupé les lieux avec une cinquantaine de camarades, cassant au passage quelques vitres», se rappelle-t-il en riant. 
Depuis, Bangalore est devenue la capitale des nouvelles technologies made in India et l'industrialisation grignote les terres agricoles. Le gouvernement de New Delhi a créé à tour de bras des zones économiques spéciales – plus de 400 à ce jour – qui bénéficient d'une fiscalité avantageuse et d'investissements publics considérables. «Comme si en dehors de Bangalore, Bombay ou Calcutta, l'Inde n'existait pas», soupire Veerabhadrappa Bislalli. Et de critiquer: «Mon pays est devenu un importateur de denrées alimentaires». Fidèle à la vision de Gandhi, le KRRS prône une «république des villages» et «un développement rural». Quant au géant des semences génétiquement modifiées Monsanto, il a toujours un bureau à Bangalore, mais ses activités ont décliné. «C'est grâce au KRRS, assure le militant. Le coton transgénique de Monsanto n'est aujourd'hui plus du tout cultivé au Karnataka.» Le coton «Bt» avait été introduit dans le Sud de l'Inde au début des années 2000. Au vu de ses résultats catastrophiques, certains Etats comme l'Andhra Pradesh l'ont carrément interdit. Les milieux anti-OGM soulignent volontiers le lien entre les plantations modifiées et les suicides de paysans indiens. Mais, même si le coton de Monsanto avait déjà presque disparu du Karnataka, 620 paysans ont mis fin à leurs jours en 2007. 


Aussi une agence matrimoniale

Pour l'activiste du KRRS, ces suicides montrent que les paysans sont encore trop dépendants, notamment des produits chimiques. «Les queues devant les magasins d'engrais et de pesticides sont si longues qu'elles virent parfois à l'émeute», raconte Veerabhadrappa Bislalli. Dans ce contexte, les cours du KRRS sur l'agriculture biologique sont pris d'assaut. Les paysans sont encouragés à échanger leurs semences. Le mouvement organise aussi des mariages. Pour s'unir, pas besoin d'appartenir à la même caste, ni de se ruiner ou de s'endetter, comme c'est trop souvent l'usage en Inde

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