samedi, mai 17, 2008

Le détournement du fleuve São Francisco, symbole de la «dérive de Lula»

   PROPOS RECUEILLIS PAR RACHAD ARMANIOS    

ReligionsBRÉSIL - L'évêque Tomas Balduino, 85 ans, est en Suisse pour alerter l'opinion sur le projet gouvernemental de détourner le São Francisco. Seule l'agro-industrie d'exportation en profitera, dénonce le religieux. 
En détournant une partie des eaux du São Francisco, le gouvernement de Lula prétend étancher la soif des habitants des régions semi-arides du Nordeste, au Brésil. En réalité, ce projet pharaonique vise à irriguer les monocultures de canne à sucre ou de fruits, destinées à l'exportation, accusent les détracteurs du projet. Fin 2007, l'évêque franciscain Luiz Flavio Cappio menait, «pour sauver le fleuve», une grève de la faim de vingt-quatre jours après un premier jeûne en 20051. C'est un autre évêque brésilien, Mgr Tomas Balduino, qui est ces jours en Suisse romande pour sensibiliser l'opinion publique à cette cause. A 85 ans, ce dominicain, évêque émérite du diocèse brésilien de Goiás (1967 à 1998), n'a rien perdu de son âme militante. Il a été le premier président de la Commission pastorale de la terre (CPT) de l'Eglise brésilienne, un offensif soutien des paysans sans terre. Entretien lors de son passage à Genève2. 


Quelles conséquences le jeûne très médiatisé de Mgr Cappio a-t-il eues?

Mgr Balduino: Des organisations populaires, indiennes, noires, de paysans, de pêcheurs se sont massivement mobilisées. Car le gouvernement s'est lancé corps et âme dans la poursuite du projet, en recourant à l'armée. Chargée de l'ingénierie, elle défend les travaux avec ses tanks. 


Pourquoi vous opposez-vous à un projet qui apportera de l'eau potable à 12 millions d'habitants?

C'est faux. Il va davantage concentrer l'eau là où elle l'est déjà en bénéficiant avant tout à l'agriculture d'exportation. En particulier, le projet servira à accroître la production d'éthanol (un agrocarburant tiré de la canne à sucre). Seul 4% de l'eau sera destiné à la population des campagnes. Dans les Etats semi-arides, ce ne sont pas 12 millions, mais 34 millions de personnes qui souffrent du manque d'eau. Le détournement du São Francisco n'est pas une solution. Car le problème vient de la non-redistribution de l'eau, confisquée en grande partie par les latifundistes. Se développe alors une «industrie de la sécheresse»: pour capter des voix, des politiciens offrent de l'eau aux pauvres avec des camions citernes. 


En favorisant l'agro-industrie d'exportation, le projet est-il bénéfique pour le Brésil?

Non, car il va creuser encore plus les inégalités sociales du fait de la concentration des richesses et des ressources. En outre, les monocultures détruisent la terre et tuent l'agriculture traditionnelle. Surtout, elles se destinent toujours plus à remplir les réservoirs des voitures plutôt que les ventres. Entre 2007 et 2008, les champs de canne à sucre ont avancé de 27% sur des terrains réservés auparavant à la production de céréales. L'éthanol est tout sauf un carburant éthique: sur les 5974 travailleurs-esclaves que les inspecteurs du gouvernement ont libérés l'an passé, 3131 venaient du secteur de la canne (des gardes armés empêchent de fuir ces employés, liés par des dettes aux grands propriétaires terriens, ndlr). 


Pourquoi les Indiens protestent-ils contre le projet?

La construction de deux canaux longs de 400 et 220 km signifie une invasion et un vol des terres appartenant à 34 peuplades indigènes. Lesquelles ne verront même pas la couleur de l'eau détournée! Un sérieux problème constitutionnel se pose, car une telle entreprise sur leurs terres suppose l'aval du parlement, qui ne s'est pas encore prononcé. Mais le gouvernement a pu annuler toutes les actions en justice. 


Quelles conséquences écologiques craignez-vous?

Cela va accentuer l'assèchement des zones riveraines de ce fleuve mourant. Les plantations d'eucalyptus pour la production de cellulose ont déjà asséché les affluents. Le fleuve souffre de l'érosion et de la dévastation de la végétation. En plus, les eaux usées d'un grand nombre de municipalités, dont des mégapoles, finissent dans le fleuve sans être traitées, créant de graves problèmes de pollution. 


Quelle alternative au détournement du fleuve est-elle proposée?

Un plan favorisant une gestion locale de l'eau a été conçu au sein même de l'Agence nationale des eaux. Mais il a été étouffé par le gouvernement Lula. Il s'agirait de développer un véritable réseau de distribution pour l'ensemble de la population à partir des réservoirs existants, de mieux capter l'eau de pluie et de mieux lutter contre l'incroyable évaporation, favorisée par l'irrigation conventionnelle et la concentration de l'eau dans les gigantesques réservoirs. 


Lula a-t-il trahi ses idéaux?

Oui. Il a été porté au pouvoir par les organisations populaires qui aspiraient au changement, comme au Venezuela, en Bolivie ou au Paraguay. Mais il a opté pour le marché et la «gouvernabilité». Il accuse désormais le peuple traditionnel et les Indiens de freiner le développement du pays et érige les producteurs d'éthanol en héros nationaux! Quant à la réforme agraire qui devait permettre aux paysans de reconquérir leurs terres, Lula l'a complètement oubliée. Sa priorité, c'est l'agrobusiness. Le combat pour le São Francisco va donc au-delà, puisqu'il symbolise celui des organisations paysannes et populaires dans tout le Brésil pour le droit à l'eau et à la terre. 


Un combat difficile?

Oui, d'autant plus que l'impunité règne. La semaine passée, le Tribunal de Bélem a annulé la condamnation à trente ans de prison de Vitalmiro Moura, dit «Bida», le commanditaire de l'assassinat en 2005 de soeur Dorothy. Cette Américaine défendait les paysans sans terre dans l'Etat du Para. La CPT, la Conférence des évêques et même Lula se sont publiquement indignés. En onze ans dans le Para, sur 850 assassinats, aucun commanditaire n'a été puni. En 2005, la Cour suprême du Brésil a refusé que les crimes contre les droits humains soient jugés au niveau fédéral. Elle arguait que la justice régionale de Bélem fonctionnait bien... la même qui vient d'acquitter Bida. Au Brésil, quatre évêques sont menacés de mort. I 
Note : 1Le Courrier du 5 janvier 2008. 
2Mgr Balduino, ainsi que Thomas Bauer, coordinateur de la CPT, étaient invités mercredi par la Commission Tiers-Monde de l'Eglise catholique et le Centre catholique international de Genève.

Morales met sa tête sur le billot et ses opposants prennent peur

   BPZ    

SolidaritéBOLIVIE - En adhérant au projet de référendum révocatoire proposé par Evo Morales, la droite sénatoriale fissure l'opposition. 
L'opposition bolivienne s'est-elle tiré une balle dans le pied? Bien que contrôlé par les partis nationaux anti-gouvernementaux, le Sénat a donné son accord à la tenue, le 10 août prochain, d'un référendum révocatoire mettant en jeu non seulement le mandat présidentiel, mais également ceux des préfets départementaux. Furieuse, l'opposition régionaliste parle d'un «autogoal» commis par Podemos (droite) et Unité nationale (centre), habituellement alliés aux autonomistes de l'Est. Elle craint qu'un tel scrutin national ne jette le doute sur les consultations autonomistes du 4 mai à Santa Cruz et prévues en juin à Tarija, Beni et Pando. Particularité des référendums révocatoires du 10 août: tout élu affligé d'un pourcentage de rejet supérieur à celui obtenu lors de son élection en 2005 devra quitter son poste. Ainsi Evo Morales, élu par plus de 53% des votants, pourra se contenter de moins de 47% de soutiens pour conserver son poste. Avec près de 60% d'opinions favorables dans les sondages, le leader aymara envisage donc son avenir avec sérénité. Tel n'est pas le cas, en revanche, de plusieurs préfets de l'opposition, élus à des majorités relatives grâce aux divisions de la gauche. Sont particulièrement en danger le populiste Manfred Reyes Villa, préfet de Cochabamba, et celui de La Paz, José Luis Paredes (Podemos). A droite, seul le populaire préfet de Santa Cruz, Rubén Costas, semble sûr de conserver son poste. Le risque, pour la droite, est désormais de voir un gouvernement relégitimé dans un scrutin incontestable. Car contrairement à la votation autonomiste du 4 mai à Santa Cruz, le vote du 10 août sera organisé par les autorités électorales compétentes et observé par une vingtaine d'organismes étrangers. 
Tant qu'à aller aux urnes, «nous devrions tous renoncer à nos charges et organiser des élections générales», a aussitôt réagi Manfred Reyes Villa, rejoint par Rubén Costas, mais pas par le préfet de Pando, Leopoldo Fernández... 
Au sein de Podemos, également, les couteaux s'aiguisent. Le chef du parti de droite, Jorge «Tuto» Quiroga, est ouvertement accusé d'avoir provoqué le référendum révocatoire national uniquement pour faire de l'ombre aux leaders régionaux et se replacer en vue des prochaines élections... A contrario, d'autres s'élèvent pour dénoncer la stratégie autonomiste adoptée par l'opposition, dont le demi-échec du référendum du 4 mai (faible participation) montrerait les limites. De premières fissures au sein du bloc oppositionnel que le gouvernement ne manquera pas d'exploiter. Celui-ci a d'ailleurs rouvert dès lundi le processus de dialogue national visant à retoucher le projet de Constitution et d'y intégrer davantage d'autonomie départementale. Tenues sous les auspices de l'Organisation des Etats américains (OEA), ces discussions ont toutefois été boycottées par les préfets des quatre départements de l'est.

lundi, mai 05, 2008

Partisans et adversaires de l'autonomie s'affrontent à Santa Cruz

   BENITO PEREZ    

SolidaritéBOLIVIE - Les partisans du gouvernement ont perturbé la tenue du référendum autonomiste jugé illégal. Les émeutes se sont soldées par un mort et vingt blessés. 
L'affrontement était inévitable. Malgré les appels au calme du président Evo Morales, le référendum mis sur pied par la Préfecture de Santa Cruz (est) a été marqué hier par de très violentes émeutes, où se sont affrontés partisans et opposants au statut d'autonomie. A l'heure où nous mettions sous presse, les résultats du scrutin n'étaient pas connus, si ce n'est ceux de la violence: un mort et au moins 20 blessés, dont plusieurs grièvement. Dans l'ouest du pays, la journée a été marquée par d'immenses assemblées publiques à El Alto, La Paz, Oruro, Potosi et Cochabamba, où des centaines de milliers de personnes ont appelé à l'unité de la Bolivie. 

Barrages routiers

Dès l'aube, plus de 900 000 électeurs étaient appelés à se rendre dans l'un des 600 bureaux de vote du Département de Santa Cruz, première des quatre entités régionales de l'est bolivien à mettre sa menace à exécution. A l'instar de Tarija, Beni et Pando, les autorités de Santa Cruz – tenues par les opposants au gouvernement de gauche d'Evo Morales – ont fait adopter en assemblées populaires un projet de statut d'autonomie, avant de le soumettre ce dimanche – sans l'accord du parlement bolivien – au corps électoral. Le texte est qualifié de séparatiste par La Paz, car il donnerait la souveraineté fiscale, législative et agraire au département, en contradiction de la Constitution nationale en vigueur. 
La perspective fait également cauchemarder la minorité indigène de Santa Cruz, qui bénéficie des politiques de redistribution – agraire notamment – du gouvernement. C'est elle, hier, qui a ouvert les feux. Dès le matin, des milliers de partisans du gouvernement ont tenté de s'opposer à la tenue de ce scrutin jugé «illégal». Des premiers barrages routiers ont été dressés pour entraver l'acheminement des urnes à San Julián et Yapacani, à une centaine de kilomètres au nord de Santa Cruz, où le vote n'a jamais pu démarrer. A Los Angeles, près de San Julián, un militant aurait été grièvement blessé par un automobiliste opposé au blocage des routes. 
D'autres zones rurales ont également connu un scrutin très perturbé, comme Cuatro Cañadas, Montero ou San Pedro, où des dizaines d'urnes ont été brûlées. 
Mais les principaux affrontements ont eu lieu dans la banlieue populaire de Santa Cruz, à Plan 3000, où les autonomistes du centre de la capitale avaient expédié leurs jeunes troupes de l'Unión Juvenil Cruceñista défendre les urnes. Tout l'après-midi, des milliers de personnes se sont battues à coups de pierres et de pavés pour le contrôle des locaux de vote du quartier. Selon un journaliste du Courrier, quelque 250 policiers tentaient de s'opposer aux affrontements en tirant des balles en caoutchouc et des grenades lacrymogènes. Des gaz qui, à en croire Radio Erbol, auraient causé la mort d'une personne âgée. Des rumeurs avançaient un second décès, à l'arme blanche cette fois-ci. Notre journaliste n'a toutefois vu aucun activiste armé. 


Bilan contradictoire

Avant même la fermeture des locaux de vote, gouvernement central et Préfecture de Santa Cruz se disputaient autour du bilan politique de la journée. Si les autorités départementales qualifiaient le vote de «succès» et assuraient que seuls 3% des inscrits avaient été touchés par les incidents, des chiffres diffusés par La Paz brossaient un tout autre tableau, puisque 30% des tables électorales n'auraient pu fonctionner normalement. Un chiffre crédible, selon les informations de l'agence Reuters, qui relève que les artères principales de cinq des quinze provinces du département étaient totalement barrées par les anti-référendum. 
Quant au résultat du vote, il ne devait être connu que dans la nuit. Mais les chiffres ne seront de toute façon que symboliques, puisque le référendum n'est pas reconnu par la Cour nationale électorale, et n'a pas été supervisé par une instance nationale ou internationale. La Préfecture a dû confier le décompte à une société privée. Des accusations de fraude ont d'ailleurs été relayées tout au long de cette intense journée.