Chávez a-t-il les moyens d'une guerre pétrolière contre les USA?
Paru le Jeudi 14 Février 2008ANALYSE - Attaqué par le géant texan ExxonMobil, le Venezuela menace de couper le robinet pétrolier aux Etats-Unis. La guerre de l'or noir est-elle déclarée?
Exxon versus PDVSA ou... George Bush contre Hugo Chávez? C'est un combat de titans que la société pétrolière ExxonMobil, plus grande entreprise de la planète[1], vient d'engager contre le Venezuela, cinquième exportateur mondial, en annonçant le 7 février dernier, le blocage par diverses juridictions de 12milliards de dollars d'actifs appartenant à Petroleos de Venezuela (PDVSA). Pour l'entreprise texane, il s'agit de s'assurer une compensation financière maximale après son éviction l'an dernier des fabuleux gisements du bassin de l'Orénoque. Le président Hugo Chávez, furieux de cette manoeuvre jugée plus politique que juridique, a averti qu'en cas de «guerre économique» menée par l'«empire étasunien», l'Etat sud-américain couperait le robinet pétrolier à son homologue du Nord.
Le conflit date de la prise de contrôle par l'Etat des exploitations de l'Orénoque. Selon une loi de février 2007 très critiquée par Washington, ces gisements «d'intérêt public» doivent désormais revenir à des sociétés détenues majoritairement par PDVSA, les privés pouvant demeurer comme actionnaires minoritaires. Sur les six transnationales concernées, seules les étasuniennes ConocoPhilips et Exxon avaient refusé l'indemnisation proposée et avaient quitté le pays. A contrario, Total empochait par exemple près de 800millions.
A la fin 2007, les deux majors US portaient plainte devant la Banque mondiale et réclamaient 4milliards de dollars. Avant qu'ExxonMobil n'annonce soudainement que des tribunaux hollandais, antillais et étasuniens auraient accepté de bloquer jusqu'à 12 milliards d'avoirs vénézuéliens! Un gel démenti par PDVSA, qui a répliqué à cette «agression» en «suspendant [ses] relations d'affaires» avec ExxonMobil.
Qui perd? Qui gagne?
Tant redoutée, la guerre du pétrole entre Washington et Caracas est-elle pour autant déclarée? Ce n'est pas la première fois que le bouillant Hugo Chávez brandit la menace de laisser les Etats-Unis sans leur quatrième fournisseur (12% à 14% de sa consommation). La mesure aurait un certain poids: le géant nord-américain est vorace en énergie et il ne lui serait pas aisé de trouver ailleurs aux mêmes conditions les 1 à 1,5million de barils livrés quotidiennement par PDVSA.
En revanche, la menace d'un bras de fer menant le «baril à 200 dollars» est peu crédible. Les Occidentaux compteront sur la «solidarité» de gros producteurs, tels que l'Arabie saoudite ou l'Irak, pour éviter une telle flambée.
La suspension des livraisons à ExxonMobil a tout de même provoqué l'inquiétude des opérateurs étasuniens qui s'interrogent en particulier sur l'avenir de la raffinerie de Chalmette, en Louisiane, une usine spécialisée dans le pétrole extra-lourd de l'Orénoque (185000 barils/jour) et qui appartient à parts égales à Exxon et PDVSA!
A terme, les analystes US demeurent toutefois confiants, car une interruption totale des livraisons vénézuéliennes ferait surtout un grand perdant: PDVSA. La société publique exporte en effet plus de la moitié de sa production vers le marché étasunien. Avec sa filiale CITGO, elle dispose en Amérique du Nord d'une importante infrastructure de traitement et de distribution de son pétrole de basse qualité. Et si l'on sait que 90% des exportations vénézuéliennes dépendent des hydrocarbures, on comprend l'embarras de Caracas.
Marchés alternatifs
Depuis son éphémère renversement d'avril 2002, Hugo Chávez a multiplié les recherches de débouchés alternatifs. Mais la plupart des accords obtenus se sont faits sur une base politique, le Venezuela livrant «par solidarité» en dessous des prix du marché ou sur la base de trocs.
Bloqué sur les marchés occidentaux par le poids politique de Washington, Caracas a beaucoup exploré l'Asie, malgré la distance qui renchérit le brut sud-américain. PDVSA est ainsi parvenu à quadrupler ses livraisons à la Chine et nourrit là-bas un projet de raffineries qui pourrait la soulager de 800000 barils... dans quelque années.
En attendant, le Venezuela ne peut qu'encaisser le rude coup porté par la major texane –400 milliards de dollars de chiffre d'affaires, 40 milliards de bénéfice en 2007. Caracas a vu immédiatement s'envoler son «risque-pays» et gonfler sa dette extérieure: même limité, le risque de voir PDVSA –100 milliards de chiffre d'affaires– ponctionnée a de quoi perturber les financiers de l'Etat vénézuélien, celui-ci ayant engrangé en 2005 17milliards de dollars grâce à son pétrole.
Attaque concertée
Pour Hugo Chávez, pas de doute quant à la provenance de l'attaque: le Texan George W. Bush aurait juré de le faire tomber avant de quitter la Maison Blanche, a-t-il déclaré dimanche. Le caractère politique de l'attaque se lirait à la lumière des 12milliards revendiqués par Exxon malgré des investissements dans l'Orénoque estimés à 750millions...
Le président a également dressé le parallèle avec l'invasion de l'Irak, où marines et hommes d'affaire ont oeuvré de concert pour mettre la main sur des réserves pétrolières pourtant moins importantes. Car si les sondages réalisés dans le bassin de l'Orénoque se confirment, le Venezuela devrait bientôt se voir certifier des réserves de 300 à 350 milliards de barils. Soit les plus importantes au monde devant l'Arabie Saoudite... I
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