jeudi, février 14, 2008

Le Venezuela décide de passer aux actes et coupe les robinets à Exxon Mobil

Le Venezuela décide de passer aux actes et coupe les robinets à Exxon Mobil

Vincent Taillefumier Bogota

L'entreprise publique PdVSA agit en représailles après le gel d'une partie de ses avoirs dans un différend avec le groupe américain. Hugo Chavez veut montrer sa force aux multinationales et à son électorat faiblissant.

Cette fois-ci, le président vénézuélien Hugo Chavez veut passer aux actes. Mardi soir à Caracas, l'entreprise pétrolière publique PdVSA, dirigée par le ministre de l'Energie, a annoncé dans un communiqué la suspension de «toute relation commerciale et d'approvisionnement» avec Exxon Mobil, comme une mesure de «réciprocité». Le groupe nord-américain avait obtenu la semaine dernière d'une cour britannique le gel d'avoirs de PdVSA, à hauteur de 12 milliards de dollars.

Les biens doivent servir de garantie en attendant qu'un tribunal d'arbitrage règle le différend qui oppose les deux entreprises depuis une semi-nationalisation, en mai 2007. PdVSA avait alors pris le contrôle majoritaire d'exploitations dans la bande de l'Orénoque, gisement de pétrole lourd le plus prometteur du monde.

Aujourd'hui, les représailles vénézuéliennes laisseraient notamment en suspens le fonctionnement de la raffinerie de Chalmette, en Louisiane, détenue à égalité avec Exxon. C'est surtout la première mesure concrète depuis que Chavez a menacé, ce week-end, de «ne plus envoyer de pétrole aux Etats-Unis». La bravade, maintes fois répétée, affecterait davantage Caracas que Washington: les Etats-Unis achètent au Venezuela la moitié de sa production, mais cela ne représente que 10% de leurs achats.

Cette «guerre économique» survient à un mauvais moment pour PdVSA. En pleine expansion, l'entreprise multiplie les investissements d'infrastructure à l'étranger. Pour les financer, elle a prévu d'émettre de nouveaux bons pour presque 10 milliards de dollars, ce qui triplerait sa dette par rapport à 2005. En mal de trésorerie, le groupe public a imposé à ses clients des paiements à 8 jours, contre 30 auparavant.

En passant malgré tout à l'offensive, le gouvernement d'Hugo Chavez peut prévenir d'autres actions d'entreprises. L'Américaine Conocco Phillips et l'Italienne Eni ont aussi recours à un tribunal d'arbitrage dans le différend de l'Orénoque, malgré des négociations en cours. Et d'autres entreprises nationalisées, dans la communication ou l'électricité, pourraient être tentées de mettre des bâtons judiciaires dans les roues de la «révolution» socialiste.



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mardi, février 12, 2008

Evo Morales instaure une rente universelle dès 60 ans

   BENITO PEREZ    

SolidaritéBOLIVIE - Depuis le 1er février, tous les aînés reçoivent une allocation équivalant à deux cinquièmes du salaire minimum. Une mesure financée grâce à un impôt sur les hydrocarbures. 
Pourtant au coeur de la cosmovision indienne, la vénération des anciens n'avait pas encore trouvé sa traduction institutionnelle: jusqu'au 1er février dernier, à peine un aîné sur cinq touchait une retraite en Bolivie. C'est dire si le lancement en grande pompe, ce jour-là, de la «Rente vieillesse universelle Dignité», marque une étape symbolique et décisive pour le gouvernement du leader aymara Evo Morales, en place depuis tout juste deux ans. Puisé pour grande part dans les recettes pétrolières, ce revenu de 20 à 30 francs mensuels (2/5 du salaire minimum) fait partie d'une série de mesures visant à réduire de moitié le nombre de Boliviens vivant sous le seuil de l'extrême pauvreté. Formellement, la Rente Dignité vient remplacer le Bonosol, une allocation moins étendue et moins dotée, que l'ancien président Gonzalo Sanchez de Lozada avait financée par la vente des entreprises publiques, au moment où il liquidait le système de retraite par répartition. 
L'an dernier, un rapport gouvernemental avait annoncé le prochain assèchement du Bonosol. D'où le projet de Rente Dignité, adoptée finalement en novembre 2007, malgré l'opposition farouche de la droite. Selon les estimations de La Paz, près de 600 000 aînés devraient toucher en 2008 les 2400 bolivianos (bs) destinés annuellement aux Boliviens de plus de 60 ans ne disposant d'aucune autre allocation (1800 bs pour ceux qui touchent déjà une rente). «La Rente Dignité est un acte de justice envers les employés domestiques, les chauffeurs de taxis, les mères au foyer, les mineurs, les paysans, tous ceux qui font la richesse du pays mais qui n'ont jamais droit à rien», a proclamé Evo Morales, en référence aux «indépendants» ou informels, qui constituent l'immense majorité des travailleurs boliviens mais n'ont pas accès aux retraites par capitalisation instaurées dans les années 1990 par Sanchez de Lozada. 
En 2008, la Rente Dignité redistribuera quelque 250 millions de francs, puisés principalement dans la caisse de l'Impôt direct sur les hydrocarbures (IDH), dont près du tiers lui est désormais affecté. Avec l'allocation éducative Juancito Pinto introduite en 2006 et les politiques d'encouragement à la petite production, la Rente Dignité constitue l'un des trois piliers de la lutte contre la pauvreté monétaire engagée par le gouvernement. Actuellement, plus de trois Boliviens sur cinq vivent avec moins de 2 dollars par jour, 37% ne disposant même que de moins de 1 dollar. Un taux d'«extrême pauvreté» que La Paz entend ramener sous les 20% d'ici sept ans. 
Hautement symbolique et populaire, la retraite universelle à 60 ans représente un pari aussi indispensable qu'audacieux pour un gouvernement confronté à une forte inflation et à une croissance économique bloquée à 4%. Or Evo Morales, qui a vu sa cote de popularité s'éroder, va au-devant d'une année 2008 cruciale, avec l'organisation d'un scrutin sur son projet-phare de nouvelle Constitution et peut-être la tenue d'un référendum révocatoire. Le risque, en revanche, est de voir encore s'envenimer les rapports entre l'Etat central et les régions. Car, de fait, l'allocation vieillesse, telle qu'adoptée par le Parlement bolivien, est ponctionnée pour moitié sur la cassette des communes et des neuf départements. Instauré en 2005 après d'importantes mobilisations sociales mais avant la victoire de Morales, l'IDH avait en effet été orienté par le pouvoir chancelant de l'époque au renforcement des régions contre l'Etat central. Ulcérées par cette ponction, sept des neuf provinces boliviennes ont menacé le gouvernement de «mesures de lutte» et lui ont donné jusqu'au 13 février pour revenir en arrière et trouver un autre financement à la rente. De quoi conforter les dirigeants des riches départements de Tarija et Santa Cruz dans leur stratégie de confrontation en vue de l'autodétermination.

lundi, février 11, 2008

L'étoile pâlissante du président Hugo Chavez

L'étoile pâlissante du président Hugo Chavez

Vincent Taillefumier Bogota

La réponse agressive du chef d'Etat à un raid colombien anti-guérilla en Equateur a provoqué l'incompréhension, qui est encore renforcée par les pénuries alimentaires.

Les derniers roulements de mécaniques d'Hugo Chavez n'auront pas provoqué l'union sacrée de ses concitoyens. Quand le président vénézuélien a décrété l'envoi de dix bataillons de blindés sur la frontière avec la Colombie, la semaine dernière, ses accents guerriers ont sonné creux. Près de la Colombie, des manifestations binationales ont été organisées «pour la paix», et l'opposition a organisé un rassemblement à Caracas, pour la réconciliation avec le «peuple frère». «Personne ne se sentait agressé par la Colombie, tout s'est passé en Equateur», rapporte l'analyste Rafael Zanoni.

C'est après la mort du chef guérillero Raul Reyes, le 1er mars, dans un raid colombien en Equateur, qu'Hugo Chavez avait ordonné la mobilisation de troupes pour prévenir toute incursion du même genre. Mais Caracas, Quito et Bogota se sont finalement réconciliés lors du sommet du Groupe de Rio, vendredi à Saint-Domingue.

Peur d'une dérive autocrate

Heureusement: en cas de guerre, le président «aurait risqué de se faire renverser, se hasarde l'analyste militaire Cesar Restrepo. Il faut un pays uni pour faire une guerre.» Or, Hugo Chavez semble avoir perdu son écrasante majorité. Il n'a pas récupéré de terrain depuis le référendum du 2 décembre dernier, où il avait subi sa première défaite électorale en 9 ans. Sa réforme constitutionnelle, qui prévoyait une extension des pouvoirs présidentiels et des limitations à la propriété privée, lui avait fait subir de lourdes défections. «Le projet socialiste radical et la dérive autocrate ont fait peur à ses propres partisans», juge Rafael Zanoni.

Beaucoup se méfient maintenant du nouveau Parti socialiste uni du Venezuela. Voulue par Chavez pour unir ses troupes, la structure balbutiante est écrasée par l'ombre du Commandeur: le président y est, en dernier ressort, le seul chef. Nombre de sympathisants s'en sont détournés pour une préoccupation plus terre à terre: trouver du lait ou du poulet, suivant les périodes de pénurie.

Le manque récurrent d'aliments de base, qui frappe le pays depuis l'an dernier, préoccupe en effet bien davantage les habitants du pays pétrolier que les agissements de Bogota contre la guérilla, comme en témoigne la blague improvisée par les Vénézuéliens lors des mouvements de troupe. «Tu pars à la frontière?» demande une mère à son fils conscrit. «Alors, ramène des œufs et du lait!»

Chávez a-t-il les moyens d'une guerre pétrolière contre les USA?

   BENITO PEREZ    

InternationalANALYSE - Attaqué par le géant texan ExxonMobil, le Venezuela menace de couper le robinet pétrolier aux Etats-Unis. La guerre de l'or noir est-elle déclarée? 
Exxon versus PDVSA ou... George Bush contre Hugo Chávez? C'est un combat de titans que la société pétrolière ExxonMobil, plus grande entreprise de la planète[1], vient d'engager contre le Venezuela, cinquième exportateur mondial, en annonçant le 7 février dernier, le blocage par diverses juridictions de 12milliards de dollars d'actifs appartenant à Petroleos de Venezuela (PDVSA). Pour l'entreprise texane, il s'agit de s'assurer une compensation financière maximale après son éviction l'an dernier des fabuleux gisements du bassin de l'Orénoque. Le président Hugo Chávez, furieux de cette manoeuvre jugée plus politique que juridique, a averti qu'en cas de «guerre économique» menée par l'«empire étasunien», l'Etat sud-américain couperait le robinet pétrolier à son homologue du Nord. 
Le conflit date de la prise de contrôle par l'Etat des exploitations de l'Orénoque. Selon une loi de février 2007 très critiquée par Washington, ces gisements «d'intérêt public» doivent désormais revenir à des sociétés détenues majoritairement par PDVSA, les privés pouvant demeurer comme actionnaires minoritaires. Sur les six transnationales concernées, seules les étasuniennes ConocoPhilips et Exxon avaient refusé l'indemnisation proposée et avaient quitté le pays. A contrario, Total empochait par exemple près de 800millions. 
A la fin 2007, les deux majors US portaient plainte devant la Banque mondiale et réclamaient 4milliards de dollars. Avant qu'ExxonMobil n'annonce soudainement que des tribunaux hollandais, antillais et étasuniens auraient accepté de bloquer jusqu'à 12 milliards d'avoirs vénézuéliens! Un gel démenti par PDVSA, qui a répliqué à cette «agression» en «suspendant [ses] relations d'affaires» avec ExxonMobil. 


Qui perd? Qui gagne?

Tant redoutée, la guerre du pétrole entre Washington et Caracas est-elle pour autant déclarée? Ce n'est pas la première fois que le bouillant Hugo Chávez brandit la menace de laisser les Etats-Unis sans leur quatrième fournisseur (12% à 14% de sa consommation). La mesure aurait un certain poids: le géant nord-américain est vorace en énergie et il ne lui serait pas aisé de trouver ailleurs aux mêmes conditions les 1 à 1,5million de barils livrés quotidiennement par PDVSA. 
En revanche, la menace d'un bras de fer menant le «baril à 200 dollars» est peu crédible. Les Occidentaux compteront sur la «solidarité» de gros producteurs, tels que l'Arabie saoudite ou l'Irak, pour éviter une telle flambée. 
La suspension des livraisons à ExxonMobil a tout de même provoqué l'inquiétude des opérateurs étasuniens qui s'interrogent en particulier sur l'avenir de la raffinerie de Chalmette, en Louisiane, une usine spécialisée dans le pétrole extra-lourd de l'Orénoque (185000 barils/jour) et qui appartient à parts égales à Exxon et PDVSA! 
A terme, les analystes US demeurent toutefois confiants, car une interruption totale des livraisons vénézuéliennes ferait surtout un grand perdant: PDVSA. La société publique exporte en effet plus de la moitié de sa production vers le marché étasunien. Avec sa filiale CITGO, elle dispose en Amérique du Nord d'une importante infrastructure de traitement et de distribution de son pétrole de basse qualité. Et si l'on sait que 90% des exportations vénézuéliennes dépendent des hydrocarbures, on comprend l'embarras de Caracas. 


Marchés alternatifs

Depuis son éphémère renversement d'avril 2002, Hugo Chávez a multiplié les recherches de débouchés alternatifs. Mais la plupart des accords obtenus se sont faits sur une base politique, le Venezuela livrant «par solidarité» en dessous des prix du marché ou sur la base de trocs. 
Bloqué sur les marchés occidentaux par le poids politique de Washington, Caracas a beaucoup exploré l'Asie, malgré la distance qui renchérit le brut sud-américain. PDVSA est ainsi parvenu à quadrupler ses livraisons à la Chine et nourrit là-bas un projet de raffineries qui pourrait la soulager de 800000 barils... dans quelque années. 
En attendant, le Venezuela ne peut qu'encaisser le rude coup porté par la major texane –400 milliards de dollars de chiffre d'affaires, 40 milliards de bénéfice en 2007. Caracas a vu immédiatement s'envoler son «risque-pays» et gonfler sa dette extérieure: même limité, le risque de voir PDVSA –100 milliards de chiffre d'affaires– ponctionnée a de quoi perturber les financiers de l'Etat vénézuélien, celui-ci ayant engrangé en 2005 17milliards de dollars grâce à son pétrole. 


Attaque concertée

Pour Hugo Chávez, pas de doute quant à la provenance de l'attaque: le Texan George W. Bush aurait juré de le faire tomber avant de quitter la Maison Blanche, a-t-il déclaré dimanche. Le caractère politique de l'attaque se lirait à la lumière des 12milliards revendiqués par Exxon malgré des investissements dans l'Orénoque estimés à 750millions... 
Le président a également dressé le parallèle avec l'invasion de l'Irak, où marines et hommes d'affaire ont oeuvré de concert pour mettre la main sur des réserves pétrolières pourtant moins importantes. Car si les sondages réalisés dans le bassin de l'Orénoque se confirment, le Venezuela devrait bientôt se voir certifier des réserves de 300 à 350 milliards de barils. Soit les plus importantes au monde devant l'Arabie Saoudite... I