
Bataille autour de l'Amazonie
«J'ai connu Minc quand il avait encore des cheveux. [Maintenant], il risque d'en perdre davantage», a lancé l'ex-ministre brésilienne de l'Environnement, Marina Silva. Une façon de mettre en garde son successeur, l'écologiste et ex-secrétaire à l'Environnement de l'Etat de Rio, Carlos Minc, contre les obstacles qui l'attendent. Icône de la préservation, Marina Silva était la garante de la crédibilité environnementale du Brésil à l'étranger. Sa démission, le mois dernier, a semé la perplexité sur l'avenir de l'Amazonie, la plus grande forêt tropicale de la planète, qui couvre 61% du territoire du Brésil mais dont 15% sont déjà partis en fumée, pour faire place à des plantations et des pâturages.
Créations de réserves
Marina Silva a claqué la porte en invoquant des difficultés à mettre en œuvre sa politique de préservation, qui s'est heurtée à des «résistances croissantes de secteurs importants du gouvernement et de la société», a-t-elle précisé dans sa lettre de démission. L'ex-ministre a estimé avoir perdu le soutien du président Lula dans sa lutte contre le défrichement de l'Amazonie. Luiz Inácio Lula da Silva, qui l'avait nommée en 2003, a appuyé certaines de ses mesures, comme la création de 240000 km2 de réserves en Amazonie, mais il lui a aussi infligé des défaites. Comme l'autorisation des cultures transgéniques et la mise en branle de grands ouvrages, notamment des usines hydrauliques en Amazonie, censées accélérer la croissance économique mais qui risquent d'aggraver le défrichement. Son dernier camouflet: ce n'est pas à elle, mais à un autre ministre qu'il a confié la coordination d'un plan de développement durable de l'Amazonie...
Ces trois dernières années, Marina Silva avait réussi, en resserrant les contrôles, à réduire de 60% le défrichement de la forêt amazonienne, mais celui-ci est reparti à la hausse. Entre août 2007 et avril 2008, 5850 km2 de forêt ont été détruits, soit plus que pendant toute la période antérieure de douze mois (entre août 2006 et juillet 2007). Et le pire est encore à venir puisque la saison sèche, pendant laquelle culminent les déboisements, ne fait que commencer. En cause, selon Marina Silva, le développement de l'élevage et de la culture du soja, favorisé par la hausse des cours mondiaux des denrées alimentaires.
Face à cette nouvelle donne, Lula a accepté de prendre des mesures draconiennes: interdiction d'abattre le moindre arbre dans les 36 villes championnes du défrichement et surtout interdiction pour les banques publiques d'octroyer des crédits aux propriétaires terriens d'Amazonie, qui ne maintiennent pas sur pied 80% de la forêt dans le périmètre de leur propriété, comme le veut le code forestier. Les restrictions au crédit public - la mesure la plus efficace contre la destruction de la forêt - entreront en vigueur le 1er juillet. Mais le puissant lobby de l'agrobusiness, soutenu par le Ministère de l'agriculture, fait pression pour vider ces textes de leur contenu. L'un des principaux défis de Carlos Minc sera de parvenir à les maintenir.
Pressions agricoles
Un bras de fer dont l'issue dépendra, là encore, de l'arbitrage de Lula, très attentif aux attentes du secteur agro-industriel, grand pourvoyeur de devises. Selon Marina Silva, le risque de «régression» existe. Le chef de l'Etat, lui, assure que la politique environnementale «ne changera pas» avec le départ de la ministre. Il aurait également promis de ne pas promulguer, s'il venait à être adopté, un texte concocté par le lobby agricole et qui relève de 20 à 50% le pourcentage de forêt pouvant être détruite sur les propriétés situées en Amazonie.
Autre défi pour Carlos Minc: accélérer le processus d'octroi des autorisations environnementales nécessaires pour lancer les grands travaux dont a besoin le pays, tout en examinant avec rigueur leur impact sur l'environnement.