«Donner le pouvoir au peuple» mais en préservant Hugo Chávez
Paru le Samedi 06 Octobre 2007VENEZUELA - Le parlementaire vénézuélien Iván Lugo Rodríguez a parcouru la Suisse pour défendre un projet de réforme constitutionnelle visant à décentraliser le pouvoir. Le député évoque également un autre point controversé: la réélection présidentielle.
Jusqu'au 2 décembre 2007, le Venezuela va connaître une conjoncture d'une intensité particulière. C'est en effet ce jour-là qu'aura lieu le référendum par lequel les citoyens s'exprimeront à nouveau dans les urnes sur la réforme de la Constitution nationale. Pour l'opposition – qui s'est auto-exclue de la vie politique, par son boycott des dernières élections législatives de 2005 – c'est une occasion en or pour se prononcer contre le processus en marche. Pour les forces pro-gouvernementales, ce référendum constitue une nouvelle occasion pour confirmer le cours de leur «révolution bolivarienne». Une réalité politique analysée par Iván Lugo Rodríguez, député à l'Assemblée nationale de la République bolivarienne du Venezuela, avocat et producteur agricole, lors de sa visite en Suisse la semaine dernière.
Vous êtes très engagé en faveur de la réforme constitutionnelle en cours. Votre engagement politique est pourtant récent.
Effectivement, je ne m'étais jamais impliqué auparavant dans l'un ou l'autre des partis traditionnels1, en qui je n'avais aucune confiance. Mon activité se déroulait dans des associations agraires, vu que j'étais – et que je suis toujours – producteur agricole. Lors de l'arrivée au pouvoir du président Hugo Chávez, j'ai pensé qu'il s'agissait d'une grande occasion pour changer fondamentalement les institutions et la logique politique traditionnelle. Ma tâche de député est chaque jour plus enthousiasmante: l'échange avec les gens et avec les communautés, avec qui nous sommes en contact permanent. Je crois profondément à ce que nous appelons le «parlementarisme de rue»: la consultation, le contact constant, les comptes rendus à la base. Bref, la richesse de ce processus en marche qui s'exprime aujourd'hui par le projet de réforme de la Constitution.
Pourquoi réformer une Constitution qui n'a que huit ans?
Nous n'allons pas tout bouleverser. Moins du 10% de l'actuelle Constitution va être modifié: 33 articles sur 350. Ce texte, pour nous, est comme un joyau. Mais nous nous sommes aperçus qu'il fallait encore le polir dans un but bien précis: l'intégration des bases populaires.
Concrètement?
Le projet de réforme institue un pouvoir populaire, permettant de compléter et d'approfondir la loi sur les Conseils communaux, approuvée l'année passée et qui implique la population dans la gestion des ressources locales. Ces structures ont donné d'excellents résultats. Les fonds dégagés par l'Etat ont été mobilisés par les habitants pour de nombreux projets sociaux, dont la construction de maisons pour les nécessiteux. Il existe aujourd'hui 32 000 Conseils communaux, nous en espérons 50 000 à la fin de l'année. La réforme constitutionnelle doit permettre de les articuler entre elles et avec toutes les instances de pouvoir national, régional et local. A terme, les Conseils pourraient gérer 10% du budget national.
Quel statut aura ce pouvoir populaire?
Celui de sixième pouvoir, avec l'exécutif, le législatif, le judiciaire, l'électoral et le moral. Ce sera un 6e pilier de notre structure institutionnelle. Et pour être le pouvoir du peuple, il devra devenir à court terme le premier pouvoir au niveau national.
L'opposition affirme que cette nouveauté a surtout pour but d'en camoufler une autre: l'autorisation de la réélection présidentielle...
La réélection est un des articles à modifier. Je pense que quelqu'un qui fait bien son travail doit avoir le droit de le poursuivre. Il ne s'agit pas d'une «réélection indéfinie», comme le dit l'opposition. Cela donne l'impression d'un mandat non défini. Nous parlons d'«élection continue»: le peuple conserve toujours la souveraineté, et les élections restent le moyen essentiel par lequel il se prononce. De nombreuses nations du monde – y compris en Europe – appliquent ce concept. Et n'oublions pas qu'il existe au Venezuela la possibilité d'organiser un référendum de révocation du président, dès la mi-mandat, si 15% des électeurs le demandent.
Cette mesure donne quand même l'impression que la Révolution bolivarienne ne pourrait se maintenir sans son leader...
Je ne suis pas d'accord. Le processus ne se limite pas à Hugo Chávez, il lui survivra. Mais j'insiste, je suis convaincu que c'est un droit du peuple de définir qui va le gouverner.
Quel processus institutionnel devra suivre la réforme?
Le projet a été présentée le 15 août 2007 par le gouvernement. L'Assemblée nationale a tenu une première discussion sur l'exposé des motifs, le 20 août. Une deuxième discussion s'est tenue au mois de septembre pour analyser les titres et les chapitres. Et, pour finir, une troisième discussion se déroulera du 15 octobre au 1er novembre, pour discuter chaque article avec toutes les propositions et objections issues de la participation populaire au «parlementarisme de rue». Enfin, le 2 novembre, le projet sera transmis au Conseil national électoral, chargé de convoquer pour le 2 décembre, un mois plus tard, le référendum. Ce n'est donc pas l'Assemblée qui va décider, mais le peuple qui se prononcera à nouveau dans les urnes.
Y a-t-il eu aussi un type de consultation populaire directe?
Dans le cadre du «parlementarisme de rue», nous avons créé une «salle de réunion» à l'échelle nationale, ainsi que dans chacun des vingt-quatre Etats. Il existe aussi un groupe de facilitadores (promoteurs). A l'origine furent formées 200 personnes, qui en ont formé d'autres dans chaque Etat. Aujourd'hui, 80 000 promoteurs visitent chaque maison pour expliquer le projet de réforme et écouter l'opinion des gens. Tout ce travail sera pris en compte lors de la troisième session du parlement.
L'opposition – absente du parlement dont elle avait boycotté l'élection de 2005 – peut-elle s'exprimer dans ce processus?
Elle le fait durant la consultation des «salles de réunion» et aussi dans la presse dont elle continue à contrôler la majorité. Sa position politique actuelle est très particulière. Je me souviens bien que cette même opposition avait rejeté la nouvelle Constitution adoptée en 1999. Maintenant, paradoxalement, elle la considère comme la meilleure et s'oppose à sa réforme. C'est très significatif d'un état d'esprit politique...
Que se passera-t-il le 3 décembre si une majorité du peuple rejetait cette réforme?
Nous respecterions la volonté du peuple. Mais, très honnêtement, je ne crois pas que les gens s'opposeront à des réformes qui leur bénéficient directement. Au Venezuela, le peuple a cessé de se sucer le doigt. Il n'est plus un petit enfant. Il vit une nouvelle ère politique et participative. I
Note : *Avec la collaboration de Bernard Borel et Hans-Peter Renk
1De 1958 à 1998, alternaient à la présidence le COPEI (démocrate-chrétien) et Action démocratique (social-démocrate).